Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 14

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Silence.

Michaël ouvrit les yeux, battit des paupières. El regarda devant el. Rien.

Pour la première fois depuis des temps immémoriaux. Plus rien. Du silence et du vide.

Michaël ouvrit la bouche, fit rouler l’air frais sur sa langue. El observa le vide. Devant el, une place immense s’étendait, déserte. La vertu ouvrit grand les bras, déploya grand ses ailes libérées. El savoura l’espace libre, l’ampleur de ses ailes et de ses membres, l’absence de la foule enragée. El écouta le silence et s’en délecta, tournoyant de bonheur. Le vent apporta soudain un soupir :

— Michaël…

Le visage de la jeune vertu s’illumina. El couru sur la place vide, tourna et tourna encore en rigolant. Derrière, el ne remarqua pas les puissances en armure blanche qui le suivaient et les séraphins qui s’éloignaient. Leur garde était terminée.

— Michaël Fitzarch.

Michaël attrapa sa longue tunique noire et s’envola. Devant el, un immense bâtiment se dessina. Ses murs de mercure liquides coulaient et s’enroulaient pour former des cubes, des cercles et des triangles, des pics, des boucles et des arcs. Sous le mercure, la pierre ocre se tordit pour former des figures impossibles, des escaliers sans fin, des silhouettes qui tournaient dans un sens et l’autre, des infinités infinies. 

Après un petit tour, Michaël fonça droit vers un des murs liquides. Il s’ouvrit devant el. De chaque côté, des cascades d’eau bleue glacée tombèrent dans un fracas assommant. Des gouttes de mercure glissèrent sur le visage de Michaël. Autour d’el, des milliers d’énigmes apparurent, des jeux d’esprits sur lesquels les ombres de milliers de vertus étaient penchés, fascinés, passionnés. Michaël ne se laissa pas tenter. Son esprit remplit de joie n’avait qu’un objectif : retrouver les siens. El vola encore plus vite et enfin émergea dans un monde de mercure pur. Le métal, dilué dans les murs, le sol et dans l’air, piqua le nez de Michaël, irrita sa peau, assécha ses yeux. Le poison rongea ses lèvres et entra en el par la respiration pour aller planter des aiguilles dans ses poumons et ses cœurs. Michaël déglutit mais resta concentré. El se posa au bord d’une longue plateforme, une sorte de piste parfaitement droite, bordée par le vide. Autour volaient des milliers de vertus. Toutes arboraient des tenues de mercure liquide, qui coulait sur leurs corps tantôt lentement, tantôt dans des éclaboussures. Certains, les capitaines, arboraient leurs formes apocalyptiques, qui se fondaient parfaitement dans le décor géométrique. Michaël, toujours au bord de la plateforme, se lança dans la dernière ligne droite de sa longue marche.

Derrière les spectateurs, les bannières d’Ennead furent déployées, faîtes de lumière pure, arborant la croix surmontée du cercle et du croissant. L’hymne de la chorale résonna grâce aux milliers de voix des élohim. Puis des chants sacrés résonnèrent pour finir la pénitence du jeune Fitzarch. 

Arrivant bientôt au bout de son chemin, Michaël chercha Raphaël du regard. El n’était pas là. Peut-être attendait-el que son élève arrive avant d’apparaître. Michaël, les cœurs battants, atteignit enfin l’extrémité de la plateforme, qui donnait sur du vide. En face, un immense autel était gravé à même le mur de mercure. Michaël attendit. Au bout de quelques minutes, les chants cessèrent et un éloha descendit depuis les hauteurs insondables de la chapelle. Grand et magnifique, el lévita. Le visage de Michaël s’illumina, avant de se figer.

Kokabiel ?

Le jeune prince de Hod était là, splendide. Son halo d’or brûlait de flammes orange. Comme d’habitude, el avait soigné son accoutrement. El portait une magnifique robe orangée, rehaussée de dentelle de mercure liquide. Du feu l’enveloppait tout entier. Kokabiel, le visage impassible, observa Michaël quelques instants. La jeune vertu chercha Raphaël dans les hauteurs. Rien. Du silence, et du vide.

— Bon…

Kokabiel déploya ses deux paires d’ailes et déclara :

— Ennead ! La vertu Michaël Fitzarch…

Kokabiel fit une pause, claqua sa langue. Sa poitrine se souleva. El secoua légèrement la tête, se reprit. Michaël déglutit encore.

— Michaël Fitzarch se présente aujourd’hui à nous, dans la Sainte Chapelle de Kokab. El demande de retrouver nos rangs. Poussé par le péché d’orgueil, el avait trahit notre confiance, désobéit à notre archange.

Les élohim d’Ennead, soudain pris de frénésie, se mirent à débattre à tout rompre. Michaël sursauta. Un commandant, dans sa forme apocalyptique accusa :

— El a trahit EL en déviant de son Grand Dessein. Trahit le Porteur de Lumière en méprisant ses lois. Trahit notre père, Sandalphon, le Fils de la Lumière, en dévoyant sa mission de vertu. Et enfin, el nous à trahit, nous, Ennead ! Devrions-nous vraiment accepter son retour ?

Une douche froide s’abattit sur Michaël. Son confort, son doux nid d’Ennead se fissura. El sentit ses jambes flancher, lutta pour rester droit.

— Ennead ! s’écria Kokabiel. J’ai assisté au chemin de pénitence suivit par Michaël. J’atteste qu’el a reçu la Miséricorde et le Jugement d’EL. Je témoigne de sa repentance !

Michaël battit des paupières. En un mouvement brusque, el se retourna pour faire face à Ennead. El se laissa tomber sur ses genoux et récita :

— J’ai confessé mon péché d’orgueil. Je me repens de cet affront et vient demander le pardon de notre archange-prince Raphaël.

La poitrine de Michaël trembla alors qu’el parlait pour la première fois depuis des lustres. L’agitation dans la chapelle atteignit son paroxysme. Sous les cris et la colère, Michaël se retourna vers Kokabiel.

— Qu’est-ce qui se passe ?

L’expression de Kokabiel se froissa. El se tourna vers l’autel et agita sa main pour indiquer à Michaël de le suivre. La jeune vertu déploya ses ailes et lévita vers l’œuvre de mercure et de feu. Son sens était mystérieux, sa forme changeante, indescriptible. Kokabiel attrapa un bout de son propre halo, le brisa, et le jeta dans les flammes de l’autel. Une grande silhouette apparut. Elle était à la fois dans et devant l’autel, sur et dans le mur de mercure. El était partout, Sandalphon, Fils de la Lumière. Michaël s’inclina sur l’autel et pria cet éloha des temps anciens, ce qui lui donna un étrange réconfort. El se souvint des histoires que lui racontait Raphaël et Kokabiel durant son enfance, celles de Sandalphon et de la création des vertus. Michaël avait toujours admiré Sandalphon. El était l’incarnation de l’intelligence, de la vivacité de l’esprit EL. Fils du Porteur de Lumière, el était à l’origine un séraphin, ce qui expliquait sa silhouette enflammée. Cependant, Sandalphon, aussi malin que rebelle, avait décidé de se soustraire à l’autorité de son père en créant son propre chœur élohien : celui des vertus. Là où les séraphins étaient brûlants d’émotions, de passion et de volonté, les vertus étaient calmes, précises, organisées. Sandalphon avait su canaliser la frénésie des séraphins pour la transformer en un génie intellectuel et émotionnel, qui avait porté à son paroxysme la civilisation élohienne… jusqu’à maintenant. Déchirés, les membres d’Ennead continuaient de débattre dans la fureur.

— Calmes et organisés…

Une prière collective à Sandalphon aurait pu calmer les esprits enflammés. Michaël grimpa sur l’autel et s’y allongea face contre terre pour prier : “Oh Sandalphon, guide-moi, donne-moi la force d’esprit nécessaire pour mieux servir EL. Donne-moi la force de cœur requise pour mieux servir Raphaël.”

— Allez ! Allez ! s’écria soudain Kokabiel dans le chaos. On remballe !

Michaël se releva, s’extirpa de l’autel et lança un regard vers les hauteurs. La cérémonie était-el terminée ? Toujours pas de Raphaël dans les parages. En attendant, les élohim d’Ennead n’eurent pas à se faire prier. Els s’en allèrent à toute vitesse. Mais au lieu de quitter la chapelle, els s’enfoncèrent plus loin à l’intérieur. Face à la mine perdue de Michaël, Kokabiel descendit enfin à son niveau et expliqua :

— On monte direct au tarmac. On part pour Malkouth.

— Malkouth ? souffla Michaël.

— Oui. Comme d’habitude mon cher.

Par EL, se dit Michaël, le travail reprend bien vite. C’est pas plus mal. Encore dans sa robe noire de pénitent, el suivit Kokabiel dans les couloirs aériens de la chapelle.  Le trajet dura quelques minutes. Ennead se réunissait dans le célestoport des lieux, où des centaines de vaisseaux de la chorale étaient amarrés, près à quitter le centre-ville de Kokab. Quand el les vit, Michaël se détendit. Leurs silhouettes élancées, précises, efficaces, étaient fascinantes pour quiconque les observait.  Une douce chaleur enveloppa Michaël. Je suis enfin de retour chez moi. Tout sourire, la jeune vertu trotta derrière Kokabiel.

— Pourquoi on va pas à Guebourah ? lui demanda-t-el, innocemment. Les peupl’ailes ont l’air de se plaindre que le commandement les laisse seul. Envoyer Ennead avec eux….

— Guebourah, Guebourah, Guebourah, on entend que ça en ce moment, pesta Kokabiel. Els sont la forteresse des Cieux d’accord ? Els s’en sortiront. Là on va prêter main forte à Malkouth et puis c’est tout.

Michaël fit une moue étonnée.

— Guebourah est la seule chose qui nous protège de l’Abysse, rétorqua-t-el. Et le peupl’aile est vraiment furieux d’y être envoyé sans comm…

— Stop ! s’écria Kokabiel en se retournant soudainement. Par EL Michaël ! Ta pénitence n’a servi à rien ?! Juste tais-toi et fait ce qu’on te dit ! C’est pas compliqué !

Michaël, ses yeux gris grand ouverts, scruta le regard écarquillé de Kokabiel. Ce dernier ne baissa pas les yeux, comptant bien marteler son message dans l’esprit de la vertu rebelle.

— Je peux voir ma mère avant de partir ? finit par murmurer Michaël.

— Nan, pas le temps, mais tu pourras l’appeler tout à l’heure, soupira Kokabiel.

Michaël baissa les yeux, un peu chagriné.

— Tu devrais être content, continua Kokabiel en voyant la mine de son collègue, on ira sûrement en personne sur le ciel de bataille. Enfin, tout réfléchit, je pense pas que t’y seras le bienvenu. Raphaël te confinera sûrement dans ta chambre.

Michaël perçu un petit pic enflammé s’allumer au plus profond de ses cœurs. El soupira doucement, sans laisser paraître son trouble et suivit Kokabiel dans le terminal feutré du célestoport. Alors que le reste d’Ennead partait déjà, Kokabiel, Michaël et un petit groupe proche du prince de Hod avancèrent sur le tarmac venteux de la chapelle. Là, els embarquèrent dans une longue corvette, avion hyper-rapide. Une dizaine de puissances au service d’Ennead, embarquèrent aussi. Els étaient en armure de la tête aux pieds, armées jusqu’au bout des ailes. Michaël avança dans le couloir de l’avion. El s’installa bien sagement dans un large siège, juste derrière Kokabiel. Ce dernier posa ses pieds sur un support fournit, sortit sa boule de cristal et alluma sa radio, diffusant une musique assourdissante. C'est là que Michaël vit le bras de son collègue. Caché par son habit, el semblait être fait d'une prothèse de mercure.

— Kokabiel ? dit Michaël, un peu agité.

— Quoi ? rétorqua le prince.

— Je suis sincèrement désolé pour…ce qu’il s’est passé. Et pour la blessure incurable que je t’ai causée.

Kokabiel ne répondit pas tout de suite. D’un air distrait, el tripota sa boule de cristal jusqu’à en extraite un sort thaumaturgique, qu’el utilisa pour teindre ses serres en rose. Puis el se retourna et dit :

— Tes affaires sont à l’arrière, je te conseille de te changer avant qu’on arrive.

— Ok, souffla Michaël.

La vertu se leva et passa auprès des rangées de sièges où ses camarades s’étaient installés. Els l’ignorèrent, trop absorbés par leurs propres jeux en ligne sur le réseau EL. Michaël aurait pu s’y plonger aussi, retrouver le grand monde intérieur que partageaient tous les élohim. Mais après la marche furieuse, assourdissante, el préféra savourer le silence.

Au bout du vaisseau, Michaël arriva dans une zone de stockage. Parmi des dizaines de valises, el trouva un sac à son nom, remplit de ses affaires. Fermant la porte derrière el, Michaël quitta enfin sa tenue de pénitent et enfila son uniforme. Une émotion intense le submergea. El sentit le tissu si chaud et familier sur sa peau, si confortable. Qu’il était bon de porter un pantalon après tant de temps dans une robe usée, rugueuse. 

Soudain, alors que Michaël enfilait sa veste, un objet tomba et roula sur le sol. Le jeune Fitzarch le ramassa et poussa un soupir étonné. Il s’agissait du petit cristal sombre que Nakirée lui avait donné. Qui avait bien pu le mettre dans ce sac ? Le soupesant, el l’observa avec méfiance car il lui sembla plus petit qu’auparavant. S’est-il érodé ? se demanda la vertu. Intrigué, el l’enveloppa dans un mouchoir de soie et le cacha dans la poche de son uniforme.

Prêt, el rangea sa tunique de pénitent et revint à l’avant du vaisseau, qui quittait à peine le centre-ville. Depuis les airs, Michaël put enfin observer le chaos qu’el avait traversé. Les écrans sur les buildings affichaient encore des images de Guebourah. Le rouge du désert Gueb et le bleu électrique du ciel d’Ha Atziluth nimbaient les avenues. Les élohim continuaient de se révolter. Cette fois, els se battaient entre eux, pour des raisons que même Michaël et son esprit vif ne purent déceler. Sur des vaisseaux promotionnels, qui flottaient doucement dans l’air orange, Michaël vit d’autres bannières défiler.

“13001 est arrivé ! Bon cycle ! 13001 est arrivé ! Bon cycle !”

Ma marche a duré un an, réalisa Michaël. La jeune vertu soupira, se laissa tomber dans son fauteuil. Une vertu vint lui proposer des gourmandises d’ambroisie et des boissons d’ichor, frais ou chaud. Michaël se restaura avec plaisir. Par EL, ces simples collations lui parurent être les mets les plus fins qu’el n’avait jamais mangé. Michaël sourit. Tout allait rentrer dans l’ordre. Le retour était un peu plus dur qu’anticipé, mais la colère des élohim d’Ennead finirait par retomber. En attendant, el profiterai de la vie qu’EL lui avait offert. Et surtout, de ceux qu’el aimait.

— Hey Kokabiel, je peux pas me connecter au réseau pour l’instant. Est-ce que tu peux envoyer un message à Constantiel pour qu’el m’arrange un appel en immersif avec ma mère ? Comme ça el pourra me voir au lieu de juste entendre ma voix.

Kokabiel, qui jusque-là se tortillait sur sa musique, s’immobilisa. El se retourna et foudroya Michaël du regard.

— C’est quoi ton problème Fitzarch ? cracha Kokabiel en tremblant.

— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? fit Michaël, excédée par l’hostilité de son collègue. Même passer un message à Const c’est trop demander ?

Kokabiel se leva et toisa Michaël du regard.

— Constantiel est mort !

Michaël se figea. Kokabiel se précipita vers l’arrière du vaisseau. Le jeune Fitzarch voulu se lever mais sous le choc, ses jambes refusèrent de bouger.

— Comment ça mort ?! s’écria Michaël.

Les autres élohim, toujours plongés dans le réseau, ne réagirent pas. Kokabiel revint, une énorme bouteille de parfum à la main. El en aspergea Michaël, qui s'étouffa sous la senteur aigre.

— El est mort à Sicad, cyborg! Grâce à toi !

— Quoi ?! Non, non ! Mais qu’est-ce que tu dis ?

— El a essayé de t’arrêter dans ta folie, mais au lieu de l’écouter tu l’as immobilisé et tu l’as balancé dans le cosmos pendant qu’el avait des visions ! cria Kokabiel, hystérique. El s’est pas réveillé à temps ! El a dérivé et les démons l’ont bouffé !

Michaël reçu un nouveau jet de parfum, ou plutôt de poison, sur le visage. El ne put plus respirer, ni rien dire.

— Raph a voulu le sauver mais Nukvah arrivait. El a dû choisir entre Const et toi ! Mais on sait bien tous les deux qu’el n’avait pas vraiment le choix hein ? Maudit Fitzarch !

Michaël ferma les yeux, s’écroula dans son fauteuil. Derrière, les élohim réagirent enfin. Els s’étaient mis à tousser à cause du parfum et demandèrent à Kokabiel de se calmer. Certains d’entre eux entourèrent leur ami pour l’éloigner de Michaël et le réconforter. Le jeune Fitzarch quant à lui, fut laissé seul, trop choqué pour pouvoir se nettoyer du parfum empoisonné.

Après quelques heures de vol, le vaisseau arriva au célestoport de Kokab. Michaël suivit ses collègues trois pas derrière eux, toujours entouré de puissances d’Ennead. Els rejoignirent le HOD Princess Mercuria. A ce moment, Michaël fut surprit de retrouver ses appartements habituels. Ils avaient été laissés intacts. Une forte odeur de renfermé les occupaient cependant. Michaël retrouva son salon de soie beige, ses fresques de sable coloré. El s’assied à côté d’une petite fontaine silencieuse et ne bougea plus. El respira lentement, très lentement, immobile. Une douleur atroce écrasait sa poitrine. Son sang bouillonnait, el avait chaud, son visage lui semblait brûlant. 

Plusieurs heures durant, son esprit resta vide. 

Au bout d’un moment, une nouvelle douleur surgit pile entre ses yeux, pulsante. Constantiel lui apparut alors, brandissant sa lame devant l’immensité planétaire de Sicad. Puis el apparut dans le ryad de Raphaël, son sourire calme, éthéré, quotidien. Son nom, sa lumière, son halo flotta dans le réseau EL, si majestueux mais si facile à atteindre. Puis Michaël vit Constantiel nager, s’agiter dans le fleuve de mercure, savourer la fraîcheur du métal sur son corps millénaire, sculpté, puissant. 

Quand Michaël rouvrit les yeux, el se trouva enflammé tout entier. El ouvrit grand la bouche, luttant pour avaler de l’air. Mais d’un coup la pesanteur de la douleur changea. Elle se mit à pétiller partout dans son corps et dans un miracle, se transforma en colère. Michaël bondit, couru, ouvrit la porte de ses appartements. El tomba dans les bras de deux dominations, accompagnés de deux vertus chacune, qui attendaient là, dans le couloir. 

— Votre altesse…

Prit de cours, Michaël recula. El refusait de se laisser capturer par qui que ce soit. Sans courir, el se précipita vers le couloir vertical richement décoré qui joignaient ses appartements à ceux de Raphaël. Les dominations et leurs comparses suivirent le jeune Fitzarch sans rien dire, comme une escorte solennelle. Dans le couloir, Michaël entendit résonner des chants d’apaisement. Leurs tons et leurs paroles évoquaient la chaleur de l’amitié, de la camaraderie, la douceur d’une calme soirée au coin d’un feu sacré. Mais quelque chose manquait. Dans l’esprit de Michaël, Constantiel apparut encore, au centre de la salle commune des vertus d’Ennead. El menait les chants, partageaient ceux qu’el avait appris lors de ses services à Tsadekh, dans le lointain royaume de Hessed. Là-bas el avait servi les chérubins d’Interracs. El avait ramené de chez eux des brasiers finement sculptés qui quand allumés, remplissaient tout le vaisseau d’une fine brume rose, de douceur, de confort et de la chaleur. La brume n’était plus là. 

Michaël secoua la tête, déploya ses ailes, monta vers les appartements de son mentor. El se retrouva à son palier. Là, juste devant, el s’arrêta. L’énergie qui animait son corps avait de nouveau changé, passant d’une colère chaude et piquante à une peur glaciale, paralysante. Michaël jeta un œil derrière el, aux collègues qui le suivait. Une des dominations acquiesça, comme pour lui donner l’autorisation d’entrer chez son archange. Alors Michaël se tourna vers la double porte, la poussa et entra.

Dans le ryad de Raphaël, les cieux étaient toujours bleus. Au sommet du firmament, un soleil jaune aux rayons brûlants irradiait un désert de sable doux, parfumé. En contrebas de la dune, une oasis de lait et de miel vibrait sous la chaleur. Michaël glissa sur le sable pour descendre sur la pelouse du ryad. El passa sous ses arches, faites de briques ocres ou argent. Dans la petite cour, el trouva une principauté seule. El s’approcha de Michaël et en geste, transforma son uniforme en un habit blanc, appelé sari, drapé autour du corps à la mode de Hessed.

— Est-ce vraiment approprié ? demanda Michaël à l’habilleur.

Ce dernier ne répondit pas. Michaël secoua la tête. El avança dans un large couloir, se retrouva encore devant une double porte. El entra et découvrit une salle tapissée de velours brun du sol au plafond. L’endroit était très sombre, nimbé d’une odeur légèrement vinaigrée, comme sentaient les thaumaturgies de soin. Face à el, Michaël réalisa qu’un large rideau était déployé. Doucement, el l’entrouvrit et arriva enfin dans la grande chambre de Raphaël. 

Le grand éloha était allongé là, dans un lit de velours. Autour de lui, deux sublimes azohim caressaient doucement son corps. L’une d’elle avait de grands yeux verts et des cheveux d’or, l’autre des yeux bleus et des cheveux roux. Michaël battit des paupières pour se détacher de leur beauté. Le rouge qui était monté sur ses joues disparu quand el comprit que rien de sensuel ne se passait. Raphaël n’était pas allongé pour profiter des caresses de ses épouses. De Raphaël en réalité ne restait qu’un demi-torse et une demi-tête. Le reste de son corps n’était plus fait que de mercure liquide. Ses ailes avaient disparu. Son halo de lumière orangée pure brillait, mais bien moins fort qu’à l’accoutumée. Le souffle coupé, Michaël resta immobile.

[Archange] Raphaël : Avance.

Sa gorge n’était plus capable de porter sa voix, alors el ne communiqua que par télépathie. Michaël, qui inaugura alors son retour dans le réseau, obéit. Heureusement, aucune interférence extérieure ne vint troubler son esprit. Avec l’aide de ses deux épouses, Raphaël se redressa et resta assis au bord du lit. Les azohim quittèrent alors la pièce. Michaël observa le corps meurtri de son mentor, qui pour le coup, ressemblait à un cyborg. Raphaël aussi contempla son apprenti. El vit sa tenue de deuil, au style hessedien.

[Archange] Raphaël : As-tu pensé à el tout ce cycle durant ?

Michaël regarda ses pieds. El plongea dans le réseau EL et se retrouva face au halo immaculé de Raphaël, toujours strié d’éclairs. Il était si énorme, si vif. En le voyant, Michael vit défiler tout son passé devant el, le temps d’avant la pénitence. Le reste de la conversation ne put se dérouler que par télépathie, dans le réseau EL :

— Tu me demandes si j’ai pensé à Constantiel ? murmura Michaël.

— Oui.

— Non je n’ai pas pensé à el, je crois. Je ne savais pas…

— Kokabiel t’a dit qu’el est mort, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Je voulais te l’annoncer moi-même, soupira Raphaël. Je comptais sur lui pour tenir sa langue, mais je sentais que mon petit frère finirait par craquer.

Michaël déglutit. Le visage de Raphaël, à moitié fait de métal liquide, était difficile à lire. La lumière de son halo était figée, privée de toutes les nuances habituelles qui permettaient de lire les émotions d’un éloha. Un silence gêné s’installa alors que Michaël contemplait le corps meurtri de son mentor.

— Je ne comprends pas. Comment t’es tu fais cela ?

— A Sicad, quand j’ai subi la frappe de Nukvah en te ramenant à la flotte, expliqua Raphaël. Ne sais-tu pas que même les plus puissants des élohim se font désintégrer par le souffle d’un partzuf ? Je n’ai survécu que grâce à ma maîtrise du mercure. Et toi, tu n’as survécu que parce que tu étais sous mes ailes, dans mes bras…

— Mais je t’ai vu après mon premier jour de pénitence à l’Ecclésia. Tu remontais le sanctuaire avec une azoha.

— Ce n’était pas moi… Ce n’était qu’une principauté que j’ai déguisée…

— Pourquoi faire ?

— Pour rassurer mes troupes.

— Els ne sont pas au courant de ton état ?

— Non.

Un nouveau pourquoi brûla les lèvres de Michaël. El s’approcha de son mentor, mais en voyant son corps réduit à un fragment de son être, el finit par tomber à genoux. El saisit la main droite de l’archange, seule extrémité de lui encore intacte, et la posa contre son front. El se mit à prier, retenant des sanglots. Trop ému, el s’expulsa du réseau et pleura :

— Je suis désolé, tellement désolé. Je pourrai jamais me pardonner, jamais…

Raphaël resta silencieux un moment, écoutant son apprenti déverser son chagrin. Puis el projeta son halo sur lui, pour qu’el puisse continuer de l’entendre.

— Ce qu’il s’est passé n’est pas de ta faute.

Michaël secoua la tête.

— Mon archange, tu es si gracieux. J’ai causé la perte de ton plus proche conseiller, mutilé ton corps pour l’éternité. Et pourtant tu veux me consoler ?

— Oui.

— Est-ce parce que je suis un Fitzarch ?

— Non, je pense vraiment que la faute est mienne.

Michaël leva son regard et le plongea enfin dans celui de Raphaël. Un de ses yeux restait intact, avec son sublime iris argent, l’autre était un trou dans lequel une petite lumière était nichée.

— Tu es sous ma responsabilité. Mon devoir était de te canaliser, de te protéger, et j’ai échoué.

— Tu n’as fait qu’accomplir ton devoir. Tu es sorti sauver des millions d’élohim par la grâce d’EL. C’est moi qui ai pris une décision terrible.

— Tu n’es qu’un enfant.

Michaël secoua la tête.

— Être Fitzarch me protègera-t-il toujours des conséquences de mes erreurs ?

— As-tu trouvé ton cycle de pénitence insuffisant ?

Là encore, Michaël secoua la tête.

— Non, non… Mais comment reprendre mon service après ça ?

— Le temps effacera la peine. Un jour tu auras tant de millénaires derrière toi… Tu ne te souviendras même plus de ce qu’il s’est passé à Sicad.

— Vraiment ?

Raphaël se leva. De sa main intacte, el invoqua un bol de confiseries et commença à s’en régaler. El ne pouvait pas parler mais manger, si. Michaël resta assis par terre à l’observer. Par la force de son esprit, l’archange ouvrit les rideaux derrière son lit. Le centre-ville de Kokab s’afficha sur la fausse baie vitrée. Raphaël s’installa devant, flottant en tailleur. Michaël se rassied auprès de lui et l’écouta sagement alors qu’el expliquait les évènements du cycle passé.

Les HodArch étaient à Malkouth, où els se battaient contre une horde nommée Béhémoth 36. Els avaient quitté la capitale brusquement, sans trop d’explications. Raphaël soupçonnait une intervention du Grand Architecte lui-même, qui n’avait sûrement pas apprécié de voir ses enfants se faire caillasser par des peupl’ailes en colère. Ennead quant à el, s’était restructuré. Sans Constantiel et ses relations avec les Interracs, la chorale avait eu du mal à renouveler leur équipement de pointe. Raphaël, privé de son plus grand diplomate, n’était pas en état de parader à la cour pour trouver de nouveaux collaborateurs. Kokabiel faisait de son mieux, avec un faux Raphaël à exposer partout.

— On aura beaucoup de travail pour rétablir une bonne logistique, dit Raphaël. J’espère que tu aimes ce genre de casse-tête.

— Je ferai ce qu’il faut et plus encore, dit Michaël. Mais je t’obéirai.

Soudain, une lumière rouge baigna le centre-ville de Kokab.

— Les gilets rouges sont de retour…

Des millions de vertus protestaient encore, insultant les nobl’ailes qui les envoyaient à Guebourah.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que ça dégénère comme ça ? demanda Michael.

— Mon très cher père l’archange-roi a été refroidi par les évènements de Sicad, expliqua Raphaël. 

— El ne veut envoyer personne pour commander nos vertus à Guebourah ?

— Non. Dans les négociations il était prévu que les nobl’ailes de Madim prendraient commandement des vertus de Hod de toutes façons.

Michaël fit une moue désapprobatrice.

— Je suis d’accord que ce n’est pas une bonne chose, dit Raphaël. Mais j’peux rien y faire.

— Un autre fils de Daniel ne peut-el pas agir ? J’aurai pensé que Saël profiterai de ta convalescence pour gagner de l’influence.

Raphaël haussa des épaules.

— L’ambiance est particulière à la cour en ce moment.

— J’imagine. Je n’avais jamais entendu parler de telles rébellion parmi les vertus. Les séraphins de l’Ecclésia doivent avoir du travail.

— Els n’ont pas le temps de punir ces rebelles comme toi tu l’as été. Les vertus en colère seront envoyées à Guebourah qu’elles le veuillent ou non.

Et si nous y allions ? pensa Michaël. Peu importait, Raphaël n’était pas en état. Mais avec un peu de chance dans quelques mois…el maîtriserai son nouveau corps de cyborg et reviendrait au combat.

Le mentor et l’apprenti continuèrent de discuter des heures durant. Els rirent même en réalisant qu’avec un cycle passé, Michaël revenait pile au même moment que la semaine de la mode. Au final, les deux élohim se retrouvèrent dans le lit. Raphaël remarqua que Michaël n’avait pas dormi depuis un an. El n’eut pas besoin de thaumaturgie pour y remédier. Michaël ferma les yeux. Les cœurs lourds, mais les épaules légères, el s’endormit presque immédiatement auprès de Raphaël.

Les douze premières heures de son sommeil furent noires, dénuées de tout rêve. Elles offrirent à Michaël un repos absolu. Mais peu à peu, des formes émergèrent, blanches. D’innombrables fantômes flottèrent juste sous la surface d’une rivière. Constantiel, Nakirée, des anges par milliers. Puis els disparurent pour laisser place à un corps long, massif et sinueux. Couvert d’écailles noires, el était à peine visible mais ses mouvements firent déborder la rivière, qui s’étala pour former un océan.

— AH !

Michaël se réveilla en sursaut, à bout de souffle. Immédiatement, el se redressa et palpa les poches de son sari. El y trouva le petit cristal noir donné par Nakirée et soupira de soulagement. Cependant, el vit alors que Raphaël n’était plus dans le lit. Au milieu de la chambre, ses deux épouses préparaient du thé aux bulles. Elles virent Michaël et lui en proposèrent :

— Viens par ici Michaël, dit la première en souriant. Viens goûter.

C’était la blonde, Stella. Michaël resta bouche bée devant sa beauté.

— Aller on va pas te manger, ria la seconde, Bloom, aux cheveux de feu.

Michaël secoua la tête et demanda :

— Où est Raphaël ?

— Viens boire du thé et nous te le dirons, fit Stella.

— Je dois le voir maintenant !

— Vous avez discuté des heures hier, qu’y a-t-il de si urgent ?

— Ça ne vous regarde pas, répondit Michaël, ferme.

Les azohim soupirèrent.

— El est dans son bureau, finit par dire Stella. El passe des appels.

Michaël passa le rideau de velours qui enveloppait la chambre et trotta vers le bureau de son mentor. Il était fermé, verrouillé, avec la mention “ne pas déranger” affichée au-dessus de l’entrée. Michaël agrippa la poignée et tissa. Les fils de son petit filet déverrouillèrent la porte. El entra.

Derrière un bureau de marbre crème strié d’argent, Raphaël était assis, soutenu par un fauteuil de mercure liquide qui semblait alimenter son corps du même métal. Plongé dans le réseau EL, el communiquait en silence avec d’autres élohim. Lesquels ? Des nobl’ailes de la cour sûrement. Michaël s’assied sur un des canapés qui précédaient le bureau et patienta. El resta droit, au bord du siège. Raphaël lui lança un regard amusé. Michaël se souvint alors des journées entières qu’el avait passé avachi sur ce même divan, à lire, étudier et échanger avec son mentor. El ne put à cet instant retrouver cette aise. Son corps resta ferme et froid, ses articulations bloquées et ses muscles tendus.

Au bout de quelques minutes, Raphaël émergea du réseau et s’adressa à son apprenti.

— Tu as bien dormi ?

— Oui. Et toi ?

— Très bien !

Michaël regarda de nouveau le corps meurtrit de son mentor. Ses cœurs se serrèrent. Je ne pourrai jamais m’habituer à le voir comme ça…

— Je sens que tu as quelque chose à me dire, dit Raphaël en faisant un demi sourire. 

L’autre moitié de son visage, une bouillie argentée, était figée dans une grimace. 

— Je dois te parler de Sicad, dit Michael. Encore, malheureusement… 

— Il n’est pas utile de ressasser ce qu’il s’est passé, dit Raphaël. Tu as fais ta pénitence. Nous nous sommes retrouvés. Ces évènements sont derrière nous. Je veux que nous parlions de l’avenir et de l’avenir seulement. 

Michaël secoua la tête. El pivota sa posture pour faire face à son mentor et souffla en s’accrochant à l’accoudoir devant el.

— Ce que j’ai à te dire va bien au-delà de ma triste faute, souffla Michael en s’accrochant à l’accoudoir devant el. C’est à propos des Gardiens de Sicad. Une corruption s’est cachée parmi eux et c’est pour ça qu’els n’ont pas reçu notre alerte, et qu’els n’ont pas évacué la planète à temps. 

Raphaël fronça des sourcils, prit de court.

— C’est le commandant des chérubins de Sicad qui m’a fait part de cela. El m’a donné un cristal qui contient des preuves contre le corrupteur.

— Le corrupteur ? Qui ? 

— Le séraphin Burrhus. 

Le visage de Raphaël se crispa. 

— Burrhus, le séraphin de Sicad ? murmura-t-el.

— Oui.

— Celui a qui j’ai confié ta pénitence en rétribution de…

— Oui.

Raphaël secoua la tête, leva ses bras de métal, très fins.

— Je te fais le serment, qu’EL me tienne en Jugement, que je ne te dis pas ça à cause d’une rancœur contre Burrhus, dit fermement Michaël. Mais je sais qu’el a trahit les Gardiens en sabotant leurs systèmes de surveillance et de communication. Je sais qu’el est venu ici pour me faire taire et qu’el a abusé de ta confiance pour m’atteindre.

— Quelles sont les preuves ? Depuis quand un petit cristal peut contenir quoi que ce soit ?

— Je n’ai pas pu découvrir le contenu exact des preuves. Seuls des chérubins-ingénieurs pourraient sans doute y parvenir. Mais je te jure que ce cristal contient la trace de conversations entre Burrhus et le commandant des anges…

 — Michaël…

— Je t’en prie, écoute-moi ! Tu dois me croire, je te le jure par EL ! Burrhus a voulu me faire taire. El a manipulé ma mère aussi, Ophélia !

Là, le halo de Raphaël s’agita.

— Michaël, calme-toi.

Michaël se tût un instant, mais ne tint pas longtemps :

— Nous devons mener l’enquête et rendre justice aux élohim de Sicad.

— Michaël, je suis le prince de Hod, pas un inquisiteur posté au fin fond de Malkouth.

— Nous pouvons faire appel aux séraphins-inquisiteurs s’il le faut ! Quoique… Els pourraient couvrir Burrhus tu penses ? El est l’un des leurs, un séraphin ancien…

— Tu dois oublier cette histoire Michaël.

Le visage de la jeune vertu se décomposa.

— Oublier ?

— Je sais que ta pénitence a été très dure. Burrhus a été implacable. Mais regarde, tu es là. El t’a rendu à moi, de la manière et dans les délais prévus. Tout va bien. Tout ça est derrière toi.

Choqué, ses yeux bleus hantés d’horreur, Michaël ne put rien dire.

— Les chamailleries ou coups bas qui ont existé au sein des Gardiens de Sicad ne sont pas notre problème. Je sais que tu veux bien faire, comme tu as voulu bien faire lors de la bataille là-bas. Mais cette corruption que tu crois avoir découvert n’existe pas.

— Mais… Nakirée…

— Les paroles de ce commandant-chérubin n’ont aucune signifiance. El se savait condamné, par sa faute sûrement. Dans un dernier sursaut d’orgueil… el a paniqué, c’est tout.

Michaël souffla longuement par le nez, battit des paupières. Dans les mots de son mentor, el reconnut ceux de Burrhus. Le séraphin l’avait évidemment précédé.

— Retourner à Malkouth ne va surement pas être facile pour toi. Ne t’en fais pas. Je te préserverai.

L’archange-prince attendit une réponse, mais Michaël resta figé dans le silence.

— Nous profiterons de notre campagne là-bas pour nous rendre à Eden. Nous nous recueillerons devant l’œuf où Sandalphon se repose. Avec un peu de chance, el t’adressera quelques…mots.

Là encore, Michaël garda le silence. Le choc résonnait dans tout son corps. El luttait contre un désespoir qui montait autour d’el comme le maudit océan.

— Es-tu heureux, Michaël ? N’es-tu pas excité à l’idée de rencontrer le Primogène ?

— Si, souffla Michaël en forçant un sourire. Bien sûr que si. Mais…

— Mais ?

— Je… je suis un peu choqué. Je dois remettre mes pensées en ordre, dit finalement la jeune vertu.

Raphaël sourit/grimaça de plus belle.

— Tu as besoin de repos évidemment. Prends ton temps. Je t’épargne de tes obligations professionnelles jusqu’au moment où tu te sentiras prêt.

Soudain, une voix polie résonna dans le réseau EL.

— Archange-prince ?

— Qu’y a-t-il, vertu secrétaire ? Tu as intérêt à me porter une nouvelle urgente car je t’ai ordonné de ne pas me dérang…

— C’est urgent, votre altesse.

— Urgent ?

— Monsieur S veut vous parler.

Le souffle de Michaël se coupa. Raphaël se détourna d’el et entra en trombe dans une petite pièce adjacente, qu’el ferma complètement à clé. Michaël resta immobile, seul, encore et toujours choqué. Décidément. Mais el avait vu quelque chose d’incroyable, d’inédit.

Un éclair était passé dans l’œil intact de Raphaël. Un éclair de pure terreur.

Puis el était parti se cacher à la vitesse de la lumière.

Sur la porte de son cagibi, “Ne pas déranger” était affiché en rouge pétant. C’était l’endroit où l’archange passait ses appels les plus confidentiels, ceux auxquels même son apprenti ou son commandement ne pouvaient assister. Un réseau EL privé gardait ces communications inaccessibles aux oreilles curieuses.

Michaël se leva. El plaqua son oreille contre la petite porte mais n’entendit rien. El attendit quelques minutes en sautillant. Puis el s’assit. Un sourire malin illumina son visage.

Regarde en mettant le doigt comme ça on peut écouter ! avait dit Kokabiel à l’époque.

Michaël se mit à quatre pattes. El pressa son doigt sous la porte. Cette dernière ne laissait qu’un tout petit espace entre elle et le sol, et la jeune vertu grimaça alors que son doigt était écrasé. Mais le velours mou qui couvrait le sol ploya, lui permettant de continuer. El persévéra et du bout de son extrémité, jeta un tout petit filet de lumière. De l’autre côté de la porte, ce dernier grimpa sur l’énorme halo de Raphaël et se mit à vibrer sur sa voix télépathique.

— Pourquoi tu t’intéresses à el d’un seul coup ? … Oui, oui je sais, je comprends.

Son ton était agacé, tendu. Malheureusement, Michaël n’entendait pas son interlocuteur.

— Évidemment que je le laisse revenir. J’ai pas le choix. LGA n’a pas décidé de le reprendre, même si honnêtement, ça m’aurait soulagé.

La moue malicieuse de Michaël s’effaça.

— Parce que c’est une cause perdue… El est très difficile à gérer. El ne voit pas plus loin que le bout de son nez. El est impulsif, borné. Aucun esprit d’équipe. J’ai dû le faire passer sous un rouleau compresseur pour le calmer là. Et je suis même pas sûr du résultat. J’ai laissé Ophélia gérer…

Michaël retint son souffle.

— Oui el m’a déjà parlé de Guebourah. Mais son obsession est sur Malkouth là. El a un délire parano contre ce séraphin. Va falloir que je gère ça, je sais pas comment... Oui je sais, je me suis engagé pour le meilleur et pour le pire. Mais je vous préviens si el continue de tuer des membres de mon commandement ça va être compliqué. Oui, oui je sais vous m’aviez averti… Mais j’ai sacrifié mon propre corps par EL !

Michaël se redressa. Son filet resta tout de même sous la porte.

— Je vous préviens juste que les choses vont dégénérer beaucoup plus vite que vous ne l’attendiez, domination. Je ne lis pas entre les étoiles mais je le sais. C’est une cause perdue. Une cause perdue…

Michaël, encore accroupi, recula au sol. Son filet se brisa. Une violente douleur frappa ses mains, ses pieds, ses ailes. Une brûlure atroce. Dans sa poitrine, une vague d’indignation monta, pour étouffer un chagrin insupportable. La jeune vertu finit par se lever. El se tint les cœurs quelques secondes, puis d’un seul coup, décolla vers la sortie du ryad. El retrouva le désert de sable, plongea dans la dune. El ressortit dans les couloirs du HOD Princess Mercuria. Sans hésitation, el vola dans le grand puits de lumière qui reliait tous les étages du vaisseau entre eux. El atterrit sur le pont principal supérieur, juste au-dessus du pont le plus grand du vaisseau. El arriva sur un couloir en mezzanine qui surplombait la grande salle de réception du vaisseau. L’endroit était rempli des élohim de la chorale. A l’heure qu’il était, els auraient dû être dans la salle de commandement stratégique, à organiser leurs prochaines opérations. Pourtant, els étaient là, dans le salon, réunis autour d’innombrables jeux de société. Même pendant leurs compétitions d’échecs, els discutaient et rigolaient de la repentance de Michaël, sujet ô combien d’actualité. Le prince céleste avança sur sa plate-forme et rejoignit une large baie vitrée, qui donnait au grand salon ci-dessous une vue splendide sur les cieux. Le HOD Princess Mercuria, même s’il allait à la guerre, restait un vaisseau confortable et plaisant. Michaël en profita. Là, sous les yeux ahuris de ses camarades, el ouvrit la fenêtre et passa une jambe à l’extérieur. Les élohim crièrent, déployant leurs ailes pour se protéger du vent qui s’engouffra dans le salon. Michaël resta perché là quelques instants, la mine stoïque, les yeux rivés sur le vide sous el. Le vaisseau survolait le désert ocre qui entourait Kokab, montant de plus en plus vers le ciel mauve.

— Mais qu’est-ce que tu fais ?! T’es fou ? hurla Kokabiel parmi son entourage.

Alerté via le réseau EL, Raphaël le Cyborg surgit dans le salon et observa son apprenti, bouche bée.

— Michaël ? Mais…

☿ — Chui pas une cause perdue ! cria alors la jeune vertu. Tiré de sa transe, el posa son regard sur l’archange et passa sa seconde jambe à l’extérieur. Chui pas une cause perdue et je m’en vais !

Sans demander son reste, Michaël sauta dans le vide. El se laissa tomber de plusieurs centaines de mètres, avant de déployer ses ailes et de remonter vers le firmament. Une prière lui vint spontanément à l’esprit. Porteur de Lumière. Guide mon esprit vers la Justice, garantit moi un passage sûr vers le front. Car je veux me battre, Porteur de lumière, je veux me battre.


Retrouvez la suite de l'histoire dans : 

Le Cycle des Cieux - Tome 3 : La Route du Pendu

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