Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 11

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Ophélia se souvenait encore des yeux du grand séraphin : deux disques d’or remplis de flammes, qui la transpercèrent au premier regard.

Burrhus s’était présenté à la Cour de Hod dans toute sa grandeur et son sacré. Deux fois plus grand que l'évêque de Hod lui-même, ce séraphin de quatrième génération avait embrasé tous les nobl’ailes autour de lui. Les élohim s’étaient extasié en voyant sa peau noire comme du charbon, craquelée comme la surface d’un volcan. Burrhus avait déambulé tel une montagne mouvante, dans son grand chasuble couvert de larges rubans brodés de signes ésotériques. El avait à la main un immense trident enflammé, symbole de Kether. Devant lui, tous s’étaient écarté alors qu’el venait se présenter devant l’archange-roi Daniel lui-même, souverain de Hod.

L’échange avec le roi avait été clair et bref. La rencontre avec le prince Raphaël promptement organisée. Alors que les échanges se concluaient, de nombreux nobl’ailes avaient regardé Ophélia avec insistance. Que faisait-elle ici ? Cela avait un rapport avec son enfant royal sans doute. Par réflexe ou par curiosité Burrhus aussi avait porté son regard sur elle. Et pour Ophélia, tout avait encore changé. Un effondrement dans l’effondrement. 

Tout de suite, Burrhus avait reconnu le cristal niché à l’intérieur d’Ophélia. Tout de suite, el avait vu son éclat dans ses yeux. 

Tout de suite, le séraphin avait vu que l’azoha ne respirait plus. El avait vu qu’elle s’enfonçait dans le traumatisme causé par ce qu’elle avait découvert, comme dans un bassin d’argile mouvante. 

Tout de suite, el avait su qu’Ophélia avait vu le massacre d’il y a six mille cycles. 

— Tante Ophélia ? demanda une des demoiselles. Quel rouge correspond le mieux à Guebourah selon vous ? 

Les yeux d’Ophélia quittèrent le néant. El revint au temps présent, dans son grand boudoir aux murs couverts de tapisseries de soie crème. L’azoha battit des paupières et remit son attention sur ses élèves. Agenouillées devant leur maîtresse sur de beaux tapis, douze demoiselles azohim peignaient sur des toiles lumineuses. Trois principautés les assistaient, leur donnant des conseils esthétiques et techniques pour assurer la qualité de leurs œuvres. Une des jeunes azohim soulevait cependant un petit dilemme. 

— Vous avez élaboré tant de teintes, dit une des principautés. Il ne faut en choisir qu’une.

— Je ne penses pas, artiste, s’agaça la demoiselle. L’avis de ma maîtresse me sera précieux. 

Ophélia se leva de sa chaise et s’avança pour jeter un œil à la palette de son élève. Plusieurs nuances de rouge s’y trouvaient. Une vive, pétante, presque fluorescente. Une autre sombre et veloutée, comme les pétales d’une rose. Une troisième un peu plus orangée, qui faisait penser à la rouille. 

— Où va tu appliquer la couleur ? demanda Ophélia.

— Sur la carlingue du vaisseau, dit la demoiselle.

L’œuvre représentait un vaisseau descendant sur Olympus, le grand Sanctuaire-Volcan de Madim, capitale de Guebourah.

— Qui se trouve dans le vaisseau ? demanda Ophélia, d’un air un peu mutin. 

— Des vertus de Hod bien sûr, affirma la demoiselle. Celles offertes par notre roi Daniel pour sécuriser le pilier du Jugement. 

— Le pilier du Jugement mmh ? 

— Oui, je n’ose pas peindre l’arrivée de ceux qui vont aller sur le front de l’Abysse. C’est trop horrifiant.

— Mauviette, moqua alors une autre demoiselle, qui n’avait pas hésité à peindre le trou noir dans la déchirure de la Création.

— N’oubliez pas que vos œuvres doivent encourager nos vertus à s’engager pour Guebourah, dit Ophélia. 

Les principautés retinrent des grimaces. Ophélia leur adressa un regard sévère, puis elle se rassit sur sa chaise et observa ses demoiselles peindre une demie heure durant. A la fin, la tante-azoha se leva et joignit ses paumes. 

— Demoiselles, dit-elle. Il est l’heure d’aller chercher les petits à la sortie de l’école. Vous reprendrez vos œuvres demain. 

Les demoiselles se levèrent, saluèrent leur maîtresse et quittèrent le salon. Les principautés aussi furent congédiés. Ophélia les remercia pour leur assistance et partit dans la direction opposée pour monter dans ses propres appartements. En arrivant devant sa porte, elle s’immobilisa. Sa poignée était légèrement inclinée et un parfum étranger flottait dans l’air. 

Ophélia soupira. Elle ouvrit doucement sa porte et entra. Là encore, elle sentit l’étrange. Les rayons de lumière qui pénétraient dans son couloir étaient légèrement courbés, le parfum toujours présent. Ophélia jeta un œil dans son salon. De nombreux objets avaient bougé, la lampe à lave orange, les coussins des divans de soie beige, les rideaux brodés d’or. Même les bibelots exposés dans ses belles vitrines-miroirs avaient été pris puis reposés quelques millimètres trop à gauche ou à droite. Ophélia avança jusqu’à la porte de sa chambre, agrippa la poignée puis sourit, entre nervosité et amusement. Sans hésitation, elle poussa la porte et fit une entrée fracassante.

— Plaît-il ?

Dans la chambre, deux azohim sursautèrent, se retournèrent et firent face à Ophélia, toutes gênées. 

— Honorée Ophélia ! s’exclama une des azohim. Quel plaisir de vous voir !

Ophélia leva les sourcils. L’azoha qui s’adressait à elle était Myriam, épouse de Siriniel de HodArch, bras droit de Brenna. Elle était accompagnée d’une autre épouse d’un Fitzarch quelconque. Ces deux azohim étaient enveloppés dans des robes de tulle roses. Leurs visages étaient aussi maquillés de rose et de paillettes. Elles portaient des bijoux d’argent éclatant et ressemblaient à des fées. 

 — Que faîtes-vous ici ? demanda Ophélia d’un ton doux et intrigué.

— Nous sommes venus nous donner notre soutient, concernant ce qui arrive à votre fils Michaël Fitzarch, dit Myriam. Ce qu’il se passe est absolument inadmissible. Nous vous assurons que vous et votre fils ont tout le soutient de HodArch. 

— Votre sollicitude me touche, sourit Ophélia. 

Ses yeux gris perçants restèrent froids. 

— Je prie EL pour que la pénitence de mon fils se termine rapidement et qu’el puisse rejoindre les bonnes œuvres d’Ennead.

— Sachez que les portes de HodArch sont ouvertes à Michaël, ajouta Myriam. Nous pensons qu’el pourra s’épanouir bien mieux entouré des siens. 

Ophélia observa attentivement Myriam, sa tête inclinée, ses yeux inquiets. L’azoha était parfaitement sincère. Mais elle ignorait tant de choses. Toute la vérité, sombre, occulte et ésotérique, proche et lointaine à la fois, enracinée dans l’horreur de la Seconde Shekkinah. Un autre univers bien différent des chamailleries des élites. Un univers dans lequel Ophélia s’embourbait peu à peu, volontairement. Au point qu’elle ne voulait plus d’air. 

— Je dois rejoindre mon enfant. Nous pourrons nous réunir autour d’un brunch demain matin si cela vous intéresse. 

Myriam et son amie acquiescèrent vivement. Puis elles quittèrent les appartements d’Ophélia. Cette dernière rangea sa chambre pour effacer leur fouille et leur passage. Les chipies avaient même soulevé le matelas de son lit, retourné le contenu de ses commodes. De toute évidence, Brenna ne leur avait pas intimé d’être subtiles, seulement rapides, efficaces. N’ayant pas trouvé ce qu’elles cherchaient dans les appartements d’Ophélia, les deux azohim étaient déjà en chemin pour retourner le reste du gynécée. Ce que Brenna n’avait pas envisagé, c’est qu’Ophélia n’était plus simplement du bord d’EL. 

La tante-azoha ferma bien la porte de son domaine. Puis elle s’installa sur un des divans de son salon. Elle posa les mains au sommet de son crâne, massa son cuir chevelu et récita en chuchotant une psalmodie en langue ancienne. Peu à peu, son crâne chauffa, puis dans un petit claquement, il s’ouvrit en deux. 

Ophélia se retrouva avec son cerveau de cristal à l’air libre. Sa carte mère, son processeur, sa RAM luirent et clignotèrent, beaux bijoux de pure technologie élohienne. Ophélia, concentrée, dirigea ses doigts au niveau de son noyau, siège de sa mémoire. Elle en extraya une petite boule de cristal sombre, celle ramenée ici par Michaël. 

Dès qu’elle retira le petit objet de son système, Ophélia sentit son esprit s’embrumer. Des larmes tombèrent de ses yeux alors qu’el se mit à respirer fort. Ses mains se remplirent de douleur, son cœur battit la chamade. Elle trembla, sanglota silencieusement. Bien vite, respirer devint insupportable. Ophélia remit la boule de cristal dans son cerveau, referma son crâne. Elle se sentit de nouveau couler dans la boue froide, toute entière. L’intérieur du monolithe se révéla de nouveau à son regard intérieur. Mais elle s’en éloigna. Quelques minutes plus tard, Burrhus la contacta. Une navette l’attendait aux portes intermédiaires de la tour du gynécée. 

Ophélia quitta ses appartements et sortit du domaine des azohim. Une navette blanche, floquée du trident des séraphins, l’attendait bel et bien dans le petit célestoport du gynécée. Ophélia sourit en voyant l’endroit, dont les murs étaient recouverts de fresques multicolores, peintes par des enfants. Puis son esprit replongea. Les quatre puissances qui occupaient la navette invitèrent Ophélia à s’installer dans un siège très confortable. Alors qu’elle s’asseyait, Ophélia entendit quelques clameurs à l’extérieur. Elle jeta un œil et vit Myriam et son amie se faire bousculer par des séraphins. Ces derniers les repoussaient et criaient 

— Le gynécée royal vous est interdit par ordre du prince ! Retournez chez HodArch ! Ouste ! Ouste !

Ophélia se crispa. Elle détourna son regard pour ne rien laisser paraître de son trouble. Son vaisseau décolla et descendit vers le centre-ville, jusqu’à atteindre l’immense cathédrale de l’Ecclésia. A l’arrivée, les puissances conduisirent immédiatement Ophélia dans une des tours latérales. Elle entra dans une chambre circulaire vide, excepté pour un matelas et une couverture beige-dorée. Ophélia trouva Michaël là, inconscient. 

L’azoha s’écroula presque sur son enfant. El le serra contre elle en pleurant silencieusement. Puis elle se redressa, agrippant les plis de sa robe beige, pleine de dignité. La porte derrière elle s’ouvrit brusquement. Burrhus entra en grognant. 

— Alors, où en est-on ? demanda Ophélia, la voix raillée.

— Je l’ai dilué, répondit Burrhus. Dilué, dilué et encore dilué pour extraire la flamme du guerrier. C’est la seule chose à faire.

L’immense séraphin s’accroupit en grommelant encore, comme une montagne qui s’affaissait sur elle-même. 

— Ça suffira ? souffla Ophélia.

— Non. Nous pouvons remercier Brenna pour cela. 

L’azoha-tante se redressa compulsivement, comme pour contenir son effroi. 

— Raphaël n’a-t-el pas banni les HodArch de la cathédrale ? Je l’ai pourtant persuadé de le faire après son refus initial.

— Si. El a banni ces stupides Fitzarch grâce à toi, mais c’était trop tard. Cet imbécile n’a pas suivi mes exigences dès le début. Et voilà où cela nous mène. 

— Alors la dilution doit être recommencée ? demanda Ophélia en ne pouvant retenir ses larmes.

Burrhus grommela. 

— La flamme du guerrier repousse en el tel un cancer chez une pauvre créature. Elle est maligne. Et si profondément ancrée que… La dilution, même recommencée, même répétée, ne suffira pas. A long terme, elle pourra même se révéler contre-productive.  A ce stade je ne peux qu’essayer de gagner du temps avant…

— Mère ?

— Oh mon chéri, pleura Ophélia.

Michaël venait de se réveiller. 

— Burrhus est là ?!

— Non, non…

— Mais je t’ai entendu lui parler !

— Ce n’est rien mon enfant, rien…

Burrhus se dissimula en invoquant sur lui une ombre si noire qu’elle l’occulta totalement. Puis el sortit de la pièce. 

Michaël s’agita. El se vit allongé, vit ses bras, son corps. Les yeux offerts par Nakirée avaient disparu, laissant sa peau mate marquée de rainures d’or par la force des flammes.

— Mère, tu m’as trahi ?

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom

Porteur de Lumière, que ton feu expurge nos vices

Pour que nous servions de nouveau le Grand Dessein"

Michaël flotta, allongé sur la surface de l’océan. El rentra ses bras et se laissa couler. Le lait vibra. Des petites gouttes tombaient sur sa surface, provoquant des ondes qui défièrent les vagues pour se répandre à l’infini. Malgré, et peut-être grâce à sa forme dissoute, Michaël capta ces gouttes et sentit les petits cristaux de sel qui les composaient. 

— Je suis désolée, pleurait Ophélia. Je suis tellement désolée.

Michaël sentit la main de sa mère dans la sienne. El voulu lui répondre, mais el ne put bouger ses lèvres ou quelqu’autre partie de son corps.

— Accroche-toi au sel de mes larmes, dit Ophélia, ses yeux gris perçants l’âme meurtrie de son enfant. Ce sont mes cristaux. Ils viennent de moi. Ils seront tes protecteurs, toujours…

Mes protecteurs ? Que voulait dire Ophélia ? Était-ce bien elle ? Ou une simple hallucination ? 

— Sépare toi de ce feu rebelle qui te dévore de l’intérieur, dit Ophélia. C’est tout ce que tu as à faire si tu veux la paix.

— Je ne veux pas la paix, je veux la justice, souffla Michaël.

— Burrhus essaye juste de te sauver, de tous nous sauver.

— De quoi parles-tu ?

— Je, je… je suis désolée. Laisse-toi faire et tout rentrera dans l’ordre. 

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom

Porteur de Lumière, que ton feu expurge nos vices

Pour que nous servions de nouveau le Grand Dessein”

Michaël entendit Burrhus rugir. Quelques instants plus tard, el le torturait de nouveau, arrachant encore et toujours les petits bouts orange de son âme. Michaël, sa volonté volée, s’enfonça encore dans les profondeurs de l’océan. Là, el retrouva les cristaux de sel issus des larmes d'Ophélia. Michaël les laissa se coaguler sur el sans résistance. Certains se nichèrent dans sa paume et au fur et à mesure, y formèrent une petite boule de cristal pétillante. Michaël se concentra dessus et soudain, finit l’océan, finit la blancheur et surtout, la torture. El circula alors dans un nouveau monde sombre et épais, où quelques lueurs dorées dansaient. Michaël reconnu les échos du réseau EL et vit les halos de principautés de moyenne génération. Au pied du Porteur de Lumière, els chantaient :

— Venez nous aider ! Élohim ! L’Abysse a déversé ses abominations sur Guebourah ! Venez-vous battre pour notre Créateur !

— Je veux me battre ! appela Michaël.

Niché dans ses cristaux protecteurs, la jeune vertu sortit de sa coquille salée, mais cacha à l'intérieur les petits bouts orange de sa volonté, qui repoussaient en el comme des bourgeons remplit d’espoir. Le voyant pur, d'une lumière mauve non teintée de feu, Burrhus laissa Michaël tranquille. Le jeune Fitzarch se concentra et pu de nouveau sentir le petit cristal dans la paume de sa main. El projeta son halo dessus. Mais soudain, une figure inattendue se présenta. Raphaël, furieux, surgit devant Michaël en poussant un cri sauvage et terrifiant.

— Pas la peine ! rugit Michaël. Tu m’as déjà fait le coup !

Le jeune prince donna un grand coup de pied dans le visage de son mentor, le faisant tomber en arrière. Le passage dégagé, el put fondre vers la sortie du monolithe, suivi par des centaines d’élohim. 

Là, el retrouva enfin la liberté. 

Salon des affectations

Spécial ALERTE A GUEBOURAH

Sponsorisé par :

HodArch & Guéhenna

avec en concert :

Les Soleils de Kokab

Michaël découvrit un univers remplit de millions d’étoiles colorées, nimbées de milliards d’étincelles. Sur un fond rose et vibrant, un nombre incalculable de halos élohiens circulaient. Beaucoup se baladaient d’astre en astre, portant leur attention lumineuse sur ces sphères étincelantes. Certains dansaient sur la musique des principautés et s'amusaient en ignorant les rugissements qui émanaient de halos enflammés. Les prêtres-séraphins étaient furieux qu'un salon des affectations se soit permis de venir faire la fête dans leur cathédrale. 

— Je suis dans le réseau EL ! s’extasia Michaël.

[Principauté] Annonciel : Michaël, vertu de deuxième génération. Deux cent cinquante mille offres d’affectation pourraient vous correspondre.

 

Un grand nombre de sphères étoilées se mirent à clignoter. L’esprit de Michaël glissa sur elles pour recevoir leurs messages.

[Principauté] Chitinée : Engagez-vous dans la Chokmah. La Chokmah, c’est douze-mille cinq cent ans d’expertise, des centaines de métiers et surtout, la pointe de la technologie élohienne. Scientifique, ingénieur, technicien, mais aussi chef de projet, découvrez nos affectations disponibles…

[Séraphin] Bonbon : Que la lumière vous enflamme. Ce message est porté par l’Ecclésia. Dans tous les Royaumes, dans toutes les villes bénies par notre Créateur, l’Ecclésia offre des ordalies aux pénitents. Vertus des Cieux, servez votre Créateur en assistant aux ordalies. Découvrez nos postes…

Soudain une lumière rouge baigna le réseau. Des centaines de nouvelles étoiles apparurent, toutes brûlantes d’un feu écarlate. Michaël s’approcha de l’une d’entre elles.

[Vertu] Nana : VERTUS ! LE PEUPLE DE GUEBOURAH VOUS APPELLE ! LA FORTERESSE DES CIEUX NE DOIT PAS TOMBER !

Le rugissement, entre fureur et extase, balaya Michaël. Son halo se joignit à l’étoile et ses cœurs explosèrent, libérant une énergie immense, qui s’écrasa dans ses mains et dans ses ailes.

[Vertu] Nana : QUEL EST TON NOM ?

[Vertu] Michaël :  MICHAËL !

C’est alors qu’un rugissement retentit. 

[Séraphin] Burrhus : OH LE VOILA !

Michaël déploya ses ailes, prêt à fuir. Mais Burrhus l’attrapa d’une grosse main griffue.

[Séraphin] Burrhus : Quelle idée d’aller faire une petite balade dans un moment pareil

— Lâchez moi !

Burrhus secoua la vertu comme une poupée de chiffon. Un gros fragment de sel tomba de son halo. Il se brisa, révélant une flopée de petites boules de lumière orange. Burrhus secoua la tête. 

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom

Porteur de Lumière, que ton feu expurge nos vices

Pour que nous servions de nouveau le Grand Dessein”

Les élohim connectés au réseau, qui jusqu'ici ne faisaient que chercher un nouvel emploi, hurlèrent alors que Burrhus se ruait sur Michaël pour le massacrer. Alors que des millions de halos s'enfuyaient, la vertu continua de s’accrocher à son échappatoire. 

— Engagez-moi ! cria-t-el dans le réseau et dans la cathédrale, en esquivant les assauts du monstrueux séraphin. Si je ne peux pas me battre pour mon archange, je veux combattre pour Guebourah !

[Annonce automatique] : ERREUR ERREUR, candidature irrecevable

— Non, non, souffla Michaël. C’est pas vrai…

El était toujours connecté au réseau EL, mais un mur transparent semblait le séparer de la sphère rouge, tel un pare-feu face à un virus. 

[Annonce automatique] : CANDIDATURE IRRECEVABLE

[Vertu] Michaël : Identification de l’erreur requise ! Aller, aller !

[Annonce automatique] : ADRESSE DE CONNEXION COMPROMISE, VEUILLEZ CONFIRMER VOTRE IDENTITÉ

Le halo de Michaël brilla de mille feux et à l’intérieur, la jeune vertu dessina son sceau.

[Vertu] Michaël : Je suis Michaël, éloha de deuxième génération, enfant du Grand Architecte !

[Annonce automatique] : CANDIDATURE IRRECEVABLE

[Séraphin] Burrhus : Ha ha ha ha !

Michaël fut brusquement expulsé du réseau EL et tomba sur le sol de marbre blanc de la cathédrale. Depuis quelques minutes, Burrhus avait interrompu son assaut. Agenouillé, son immensité était maîtrisée sous le poids d’une vingtaine de puissances lourdement armées. De par leur armures blanches, Michaël comprit qu’il s’agissait de la milice de l’Ecclésia. Les soldats s’étaient retournés contre le grand séraphin, qui avait enfin à leurs yeux dépasser les limites. Cependant, d’autres puissances fondirent sur Michaël. La vertu refusa de se laisser faire. El déploya ses ailes et s’envola dans les hauteurs, sous les cris des gardes et de la foule.

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom”

“Porteur de Lumière, que ton feu expurge les vices de ces pénitents”

— Porteur de Lumière ! Porteur de Lumière ! Porteur de Lumière !

Michaël entra en trombe dans le Transept du Jugement. Dans l’immense fosse, el vit les pénitents par milliers répéter encore et toujours leur litanie. Mais el leva vite les yeux et retrouva la statue du grand serpent blanc aux yeux de feu qui surplombait le lieu. Poussé par son instinct, el se posa sur lui et s’accrocha à son long corps déroulé.

— Porteur de Lumière ! Montre-moi la voie ! hurla Michaël.

Tremblant et décoiffé, el eut l'air d’un fou. Dans la fosse, les gardes évacuèrent les pénitents en pagaille. Mais alors qu’els voulaient vider les lieux, des milliers d’élohim se déversèrent dans le transept en criant.

“Guebourah ! Guebourah ! Guebourah !”

Michaël les observa, halluciné. Els n’étaient pas de Hod. Els portaient des robes rouges et des tatouages ésotériques. La plupart d’entre eux étaient des principautés exubérantes. Les gardes de la cathédrale ne se laissèrent pas perturber par ces étrangers. Els décollèrent, prêts à faire tomber Michaël de son perchoir avec leurs longues lances. Els ramenèrent des vertus avec eux, qui déployaient déjà des filets pour lui balancer des thaumaturgies de contrainte. Mais els ne purent influencer l'éloha de deuxième génération. Cerné mais fort, Michaël compressa le petit cristal dans sa main.

— Porteur de Lumière ! appela le prince. Els veulent nous séparer non ? Non !

Le grand serpent blanc se mut, ouvrant sa gueule cracheuse de feu.

φώσφορος : Ssssssssssssssssssssssss

[Annonce automatique] : VEUILLEZ RENSEIGNER VOTRE IDENTITÉ

[Vertu] Michaël : Euh... Je suis Michaël ! Je crois ?

φώσφορος : Ssssssssssssssssssssssss

[Vertu] Michaël : …Michaël…ssss. Michaëlis ?

[Annonce automatique] : CONNEXION RÉUSSIE

[Vertu] Michaël : Hein ? Oh oui ! Michaëlis ! Je suis Michaëlis et je veux me battre !

[Annonce automatique] : CANDIDATURE ENVOYÉE

[Vertu] Michaël : Oui, oui, montrez-moi ! Montrez-moi la horde !

BOOM

Une des nombreuses thaumaturgies lancées pour calmer Michaël finit par fonctionner. Le jeune éloha tomba de son perchoir et s’écrasa sur le sol de marbre noir du Transept du Jugement. Les puissances de l’Ecclésia le ramassèrent et l’emportèrent, pour le déposer dans la petite salle circulaire où el reposait habituellement entre chaque séance de pénitence. Burrhus, arrêté pour son excès de violence, fut relâché au bout de quelques minutes par la milice. El monta rejoindre Ophélia.

— Combien de temps on a ? demanda l’azoha d’une voix craintive.

— Quelques cycles tout au plus, répondit Burrhus.

Ophélia cacha ses yeux, au bord des larmes. 

— C’est un cancer, je te l’ai dit. Et sa résolve d’adolescent rebelle ne facilite pas les choses.

— Je lui ai dit de se laisser faire, je… el n’y arrive pas ?

Burrhus secoua la tête.

— On ne peut “demander” à un incendie de s’éteindre, ou de cesser de s’étendre. Tant que je ne serais pas capable d’étouffer les flammes jusqu’à la dernière, nous lutterons, éternellement. Il nous faut trouver une autre méthode.

— Oh, qu’AZ ait pitié de moi, qu’AZ ait pitié de mon enf…

— Silence, azoha.

— Maman ?

— Michaël ?

— Tu as menti ! El est là !

La jeune vertu se redressa, prêt à refaire face à son tortionnaire. Mais rien ne se passa. La vertu réalisa qu’el était allongée sur un matelas au sol, dans une pièce circulaire aux fenêtres barrées. Il faisait sombre et lourd. Au loin, on entendait les chants de la cathédrale. Michaël leva les yeux. El vit sa mère-azoha agenouillée auprès d’el. Dans l’ombre, Burrhus se cachait à moitié, seuls ses yeux et son halo de feu trahissant sa présence.

— Que fais-tu ici ?! Laissez ma mère tranquille ! siffla Michaël dès qu’el le vit.

Burrhus réprima un rire guttural.

— Tu devrais la remercier…

— Maman, comment peux-tu discuter avec ce monstre ? C’est el qui a conduit Sicad à sa perte ! Je le sais ! 

— J’essaye de te sauver, mon enfant, répondit Ophélia d’un ton ferme.

Malgré sa tristesse, el semblait assumer pleinement ce qu’el faisait. Cela perturba Michaël, mais la vertu garda sa verve.

— Ma punition est-elle terminée ? Ai-je été assez torturé au goût de l’archange-prince ?

Burrhus échangea un regard entendu avec Ophélia. A quoi ces deux-là pouvaient-els bien penser ?

— Ta punition n’a duré qu’un jour, de la Miséricorde au Jugement, dit finalement Burrhus. Par la suite, le travail que j’ai accompli sur toi avait un tout autre but.

— Quoi ? fit Michaël, la voix raillée. Mutiler mon esprit ? M’enlever toute ma volonté et ma fougue ? Pourquoi, par EL ? Tu veux me faire taire sur ce qu’il s’est passé à Sicad !

— Non. Nous voulons te protéger d’un mal qui pousse en toi, expliqua Ophélia.

— Un mal ? Suis-je malade ? Maudit ?

— En quelque sorte, gronda Burrhus.

— Alors pourquoi m’as-tu torturé ? On m’aurait soigné à l’hôpital non ? A la Chapelle des vertus !

— Ce mal ne peut-être combattu ainsi. Il faut l’arracher de ton esprit, de ton âme même, auquel il s’est vicieusement accroché.

Michaël secoua la tête, l’estomac tordu par une forte nausée.

— Mais par EL que m’arrive-t-il ? gémit-el, des sanglots dans la voix. Tout ceci est-il réel ? Suis-je devenu fou ?

— Non, dit doucement Ophélia en s’agenouillant auprès de son enfant. Laisse-toi faire encore quelques heures et…

— Je veux voir Raphaël, ma chorale, je veux rentrer chez moi.

— El ne peut se laisser faire, dit Burrhus. C’est là le premier symptôme et la première conséquence de son mal. Il s’emparera d’el comme d’un bouclier et une lance contre nous, quoi qu’il arrive.

— N’y a-t’il pas d’autre méthode alors ? supplia presque Ophélia en leva le regard sur le sombre séraphin.

— Livre nous ce mal, dit alors Burrhus à Michaël. Même si tout en toi t’urge de le défendre, fait le contraire, tente de me le donner. Mets y toute ta colère et ta souffrance en lui s’il le faut, mais sépare toi en…

Michaël cria, le cœur explosé de fureur à la simple idée de céder quoi que ce soit à ce monstre.

— Je n’ai pas oublié, Burrhus, je n’ai pas oublié Sicad. Je n’ai pas oublié Nakirée.

— Ce maudit chérubin te manipule même depuis le Berceau. N’écoute pas ces pensées mensongères. Livre-moi tes flammes cancéreuses, et ta vie d’avant reprendra.

Burrhus essaya encore et encore de persuader Michaël de coopérer, en vain. Agacé, el finit par secouer la tête. Alors qu’Ophélia berçait son enfant, Burrhus réfléchit, de longues minutes. Puis, toujours dans l’ombre, el sortit une lame étrange de son chasuble. Quand el la vit, les yeux de Michaël s’écarquillèrent. El était faite de cristaux bleus et sombres, enchevêtrés les uns dans les autres d’une manière si étrange qu’el échappait à la raison. El formait des figures impossibles, des erreurs physiques fondamentales. Burrhus s’approcha. Mais quand elle vit la lame, Ophélia se jeta sur les jambes du séraphin en hurlant.

— NOON ! NOOON ! PAR AZ ! TU VAS LE TUER NON !

Michaël, paralysé, ne put rien faire. Burrhus envoya Ophélia valser contre le mur et planta sa lame dans la poitrine du jeune prince. Immédiatement, un froid abyssal le transit tout entier. El tomba sur son matelas, désarticulé. Dans ses membres, el sentit son énergie vitale partir vers ses cœurs, pour être absorbée par la lame. Puis ce furent émotions et pensées qui s’enfuirent. Le regard de Michaël s’éteignit, son halo aussi. El poussa un dernier souffle, que Burrhus captura dans sa propre bouche. El le retint quelques instants.

— Séraphin ! râla Ophélia dans des larmes furieuses. Maudit séraphin, maudit, maudit des temps anciens !

Burrhus ne réagit pas.

— Tu as passé trop de temps dans l’ombre ! cracha l’azoha en plantant son regard transperçant dans celui enflammé du séraphin. Tu te roules dans la boue d’un passé dégoutant ! Ta morale est aussi corrompue que celle du Grand Meurtrier de mon genre ! Crois-tu pouvoir détruire un Fitzarch et t’en sortir comme ça ?!

Burrhus lâcha un long soupir, puis disparu dans l’ombre. Michaël inspira brusquement, ouvrit les yeux. Alors que sa mère se jetait sur el, sa vision s’assombrit. L’air s’humidifia, ses pieds s’enfoncèrent dans un sol noir et soyeux. El se trouva de retour dans le monolithe. Devant el, un séraphin immense luisait dans l’obscurité, seule source de lumière. Dans ses mains gargantuesques, el tenait un trident plus haut que lui encore. De ses lèvres sombres el murmurait

“Plus jamais, plus jamais"

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