Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 4

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Michaël sentit un souffle chaud caresser son visage. El ouvrit les yeux et découvrit un ciel mauve, sombre, mais parsemé de quelques étoiles. Certaines avançaient doucement et clignotaient parfois. Michaël sourit. Dans son esprit, ces lueurs se révélèrent être des vaisseaux qui transportaient des milliers, voire dizaines de milliers d’élohim vers d'autres cieux lointains.

Emmenez-moi avec vous…

Michaël prit une grande inspiration. Son visage s’illumina d’une joie immense. Son halo mauve et argent s’agrandit, encore et encore, pour devenir une lumière aveuglante. Il commença à s’élever vers le ciel, vers les étoiles, pour tenter de les approcher, de les toucher. Mais…

BONK

Le choc résonna dans l’esprit de Michaël. Il vibra, rendant toute pensée douloureuse. Son âme se fissura un peu. Ses cœurs se déchirèrent. En sortit un torrent d’émotions. Peur, révolte, colère, colère, et encore colère. Michaël se redressa, les dents et les poings serrés. El voulu déployer ses ailes. Clang ! Poser ses pieds. Clong ! Libérer ses mains. Cling !

— Par EL…

Michaël était enchaîné, ou plutôt, toujours enchaîné. Ses ailes et ses pieds étaient entravés d’énormes chaînes dorées, luisantes d’une thaumaturgie antique, suffisamment puissante pour retenir un éloha de deuxième génération. Els ont dû retourner l’antre des chérubins pour trouver un truc pareil, s'était dit Michaël au début de son emprisonnement, lorsqu'el avait échoué à détruire ces liens. A présent el se trouvait seul, au sommet d’une montagne de roches jaunes, au milieu d’un désert rocailleux. El observa l’horizon ondulant. Sous la chaleur, le désert vibrait. Des courants d’air chauds remontaient sur le flanc du mont solitaire, enveloppant Michaël. Au moins c’est plutôt agréable, avait au début admit le jeune prince. Devant el, le désert assombrit s’étendait à l’infini. Un fleuve de mercure liquide le sillonnait, pour au loin se perdre dans des douches de lumière.

— Raph ? C’est quoi ça ? demanda le petit Michaël, les cœurs battants d’excitation.

— Ce sont des rayons d’Orh Ein Sof, expliqua Raphaël. Ils forment ce qu’on appelle les cascades d’Orh. C’est une sorte de pluie lumineuse causée par le climat du désert. L’air absorbe les lueurs d’Ein Sof, tout là-haut, et vient les déposer ici. Un chérubin saura mieux t’expliquer ça que moi…

— C’est des trucs de nerds ! moqua Kokabiel en ajustant sa queue de cheval. Ces douches là c’est un cadeau d’EL à Hod. C’est une barrière de lumière qui nous protège des démons. Depuis leur apparition, pas une seule fois Kokab n’a été attaquée !

— Ce sont des murailles alors ? comprit Michaël. Pourquoi EL n’a pas donné ces protections naturelles à toutes les capitales élohiennes ?

— Parce que nous les vertus, on est les meilleurs et on le mérite, déclara Kokabiel. On descend du Porteur de Lumière lui-même, mais EL soit loué, Sandalphon nous a séparé des séraphins. Tu connais l'histoire n'est-ce pas ? 

— Oui ! s'exclama Michaël. Sandalphon a mis en nous sa graine ardente de séraphin, pour nous donner un esprit vif. Mais el a aussi mis en nous la fortitude des puissances pour nous rendre fortes et l'empathie des anges pour nous rendre serviables. En fait, Sandalphon a mis en nous les plus grandes vertus des autres élohim. Nous sommes ceux qui aident, protègent et soignent ! Nous sommes les vertus !

Raphaël et Kokabiel applaudirent, félicitant Michaël, qui avait bien appris ses leçons d'histoire. 

— Nous sommes parfaits, ajouta Kokabiel. Notre royaume est parfaitement organisé, harmonieux, brillant. C’est simplement le top du top. C’est pour ça que le Grand Architecte t’a fait naître ici. El savait qu’on s’occuperait bien de toi.

— C’est hérétique de se penser supérieurs aux autres, dit Raphaël. Souvenez-vous, aucun d’entre nous ne peut dominer tous les élohim. Qu’on soit un nobl’aile, un archange, ou même un primordieu. Seule la lumière d’Ein Sof peut baigner la Création toute-entière. 

Kokabiel secoua la tête. El n’était pas convaincu.

— La lumière d’Ein Sof est devenue bien faible. Un éloha finira par la dépasser et deviendra notre nouveau soleil…

— Non, coupa Raphaël. Bien des élohim surpuissants se sont envolés au-dessus du Trône d’EL, pour atteindre Ein Sof lui-même. Els ne sont jamais revenus. 

— Oh je sais. Parfois même, leurs restes sont retombés sur les hauteurs de Rahab.

— Ew ! fit Michaël, horrifié. 

Sa réaction ne fit qu’encourager Kokabiel :

— Certaines rumeurs disent même que le Porteur de Lumière, désespéré de la Seconde Shekkinah, serait mort de cette manière, en tentant de rejoindre la source ultime qu’est Ein Sof.

— Nous ne devrions pas obscurcir la première sortie de Michaël avec ce genre de discussions qui frôlent l’hérésie, finit par dire Raphaël.

— On peut dire ce qu'on veut. Il n’y a personne ici à part nous, rétorqua Kokabiel. 

— Nous et Constantiel, corrigea Raphaël.

Michaël pouffa de rire. Constantiel, bras droit de Raphaël, était partit au pied de la montagne, vers le fleuve de mercure. Là-bas, el batifolait dans le liquide argenté, agitant frénétiquement ses bras et ses jambes dans une transe acharnée. El semblait complètement fou, mais apparemment, ce genre de rituel apaisait son esprit, torturé de nombreuses visions prophétiques typiques des dominations. Il fallait bien trouver un moyen de se détendre.

— On est peut-être pas seuls, dit soudain Michaël. Papa me fait suivre tout le temps.

— Quoi ? fit Kokabiel.

— Mon père, le Grand Architecte. El envoie des anges gardiens pour veiller sur moi. 

— Pour quoi faire ? Nous veillons déjà sur toi.

Michaël haussa ses épaules.

— Je les vois souvent en train de me regarder dans le réseau EL. Mais bon els font jamais rien.

— C’est ridicule, râla Kokabiel. Le Grand Architecte ne nous fait pas confiance ?

— J’ai déjà eu assez de mal à le convaincre de faire sortir le bout de chou du sanctuaire, ricana Raphaël en posant une main protectrice sur le dos de Michaël. Profitons juste de l’instant présent et de cette belle vue. Je te promets un jour Michaël, je te ferai découvrir le royaume tout entier.

— Ouiiii !

Emmenez-moi avec vous… Emmenez-moi avec vous… Emmenez-moi avec vous…

— Ahhh…

Michaël soupira, se prit la tête entre les mains. El chassa ces souvenirs d’enfance. A présent el était seul, enchaîné sur ce qui était autrefois un lieu d’évasion, de calme et de longues conversations, loin de l’assourdissante capitale. Ne restait plus que le souffle du vent chaud. Ou presque…

Brrrrrrrrrrrrrrrrbrrrrrrrrrrbrrrrrrrrrrrbrrrrrrrrvrrrrrrrrr

Michaël sursauta. L’air vibra. Devant el, la lumière se tordit sous la courbure de l’espace-temps. Le tissu même de la Création se déforma, et de cette déformation surgit un être immense. El était fait de deux roues de plusieurs mètres de diamètre, couvertes d’yeux bleus perçants, imbriquées l’une dans l’autre. Au centre de ce corps étrange, une flamme bleu-acier crépitait, enveloppant un globe oculaire géant. Michaël pu lire son nom dedans.

— Rempo, encore toi ?! Fichu ophana !

L’ophana tourna sur lui-même, tous ses regards rivés sur Michaël. Même ceux à l’arrière de ses roues, qui ne pouvaient pourtant que regarder les douches de lumière à l’horizon, étudiaient la jeune vertu. Ils glissaient sur la courbure de la Création pour la scruter. Rempo vibra.

— Michaël FITZARCH. FITZARCH MIchaëL. M. M. M. F . F. F. CELESTE. ENFanT. CELESTE. PRincE. ARCHITECTE ! CELESTE. CELESTE.

La voix de l’ophana était si grave qu’elle crépitait, à peine compréhensible. En plus, el semblait dire n’importe quoi.

— Pourquoi viens-tu m’embêter toutes les heures ?! pesta Michaël. Tu peux pas faire comme les autres ophanim et juste me surveiller de loin ?!

— PRinCE CELESTE. GUERRIER MASQUE.

Une violente douleur surgit dans la poitrine de Michaël.

— Qui t’envoie ?! s’était indigné le jeune prince lors de la première visite de Rempo au sommet du mont. C’est Kokabiel c’est ça ? El est allé chercher les nerds pour te sortir du placard et te jeter sur moi ?!

Pour toute réponse, l’ophana avait ouvert grand son œil central et dans un fracas assourdissant, avait craché son feu bleu sur la petite vertu. Et là, el fit de même. Alors qu’el allait protester, les flammes s’engouffrèrent dans la bouche de Michaël et balayèrent son halo.

☿ — Aaahg ! Stop ! STOP !

— M. M. M. M. M. Ffffffffffffffff. Prrrrrrrrrr. Prt. ERREUR 404.

Sous les flammes, Michaël ne sentit pas de douleur, mais plutôt une suffocation. El ne put plus respirer et tandis que son halo s’évanouissait, son esprit basculait dans une demi-inconscience abrutissante. Quand el rouvrit les yeux, Michaël redécouvrit le ciel, les étoiles, ses souvenirs et son emprisonnement. El était de nouveau seul. El referma les paupières pour mieux chérir les minutes silencieuses qui s’annonçaient. El savait que le sommeil, le vrai sommeil bien reposant, ne viendrait pas. Il n’était pas venu depuis son arrivée ici. Mais el pouvait plonger dans une méditation profonde, qui lui faisait un peu oublier sa situation présente. Une larme solitaire coula sur sa tempe, tomba sur la roche ocre, qui en absorba toute l’humidité pour ne laisser que des cristaux de sel.

Quelques heures passèrent. Une nuit impie tomba sur les cieux mauves de Hod. Cela faisait des millénaires que la lumière d’Ein Sof, descendue de Kether, ne suffisait plus à éclairer le royaume. A certaines heures, qu’on qualifiait alors de nuit, la lumière n’était qu’une lueur tamisée et brumeuse. Beaucoup d’élohim détestaient cela. Mais Michaël n’en avait pas peur. C’est dans cette obscurité que son halo brillait le plus fort. C’est dans cette obscurité que ses frères élohim pouvaient le mieux le voir, pour rejoindre son filet de soin et être sauvés. Suis-je arrogant ? se demanda soudain Michaël, qui laissait son esprit vagabonder dans des rêveries.

“Arrête de te prendre pour un primordieu Cyborg !”

Seule lumière dans un crépuscule sans astre, Michaël se rappela du rêve étrange qu’el avait fait, juste avant de sortir de sa capsule-œuf. 

Ce qu’el avait vu : une copie conforme d’el-même, restait marqué au fer rouge dans son esprit. “Je suis EL, tu es AZ”. Suis-je donc Ein Sof ? se demanda Michaël. La frustration qu’el avait ressenti à Sicad, suite à la fuite d’Ennead, revint. Le poids de ses chaînes sembla doubler. Comme Ein Sof en son temps, Michaël voulait émerger, passer à l’action, laisser quelque chose derrière el. Ne serait-ce qu’une lueur accueillante dans l’obscurité. 

Ein Sof, aussi appelé le Sans-Limites, était l’entité créative qui avait donné naissance à la Création. On attribuait souvent cette dernière à EL. Mais EL n’était qu’une partie d’Ein Sof. Ein Sof vivait autrefois seul. Il n’y avait rien d’autre que lui dans l’existence. 

Il était tout. 

Ein Sof était une entité passive, assimilable à un océan remplit de petits cristaux de sels. Mais un jour, personne ne sait comment ni pourquoi, Ein Sof prit conscience de lui-même et s’illumina de l’Orh Ein Sof : sa Lumière. Il devint actif, et voulu créer. Mais comment faire pour trouver un espace où créer, étant donné qu’il occupait entièrement l’infinité du vide ? Pour résoudre ce problème, Ein Sof se divisa en deux entités : AZ et EL. EL poussa AZ et creusa en elle. Quand il se retira d’elle, un vide véritable s’était formé : le Téhiru. Pour créer à l’intérieur, Ein Sof ne pouvait pas rentrer lui-même, sans quoi il comblerait le Téhiru. Alors il y envoya son Orh Ein Sof, sa Lumière. 

Et la Lumière fut. 

Dans le Téhiru, AZ et EL se mélangèrent pour donner naissance à l’Adam Kadmon. AZ devint le corps du dieu, EL, son esprit lumineux. L’Adam Kadmon, ainsi formé, donna naissance aux Primordieux : les bâtisseurs de la Création. Ces derniers, après la destruction causée par la Première Shekkinah, donnèrent eux-mêmes naissance aux élohim afin de tout reconstruire. Là était le Grand Dessein. Puis la Seconde Shekkinah était venue, avec comme lors de la Première, des hordes de démons surgies de l’Abysse pour tout détruire. 

En se remémorant Sicad, Michaël sentit qu’une nouvelle fin du monde approchait. Peu à peu, les ténèbres s’installaient, les démons s’approchaient de plus en plus des cités élohiennes telles que Kokab. Ils se déversaient de l’Abysse et coulaient sur Malkouth avec une facilité déconcertante, comme si les armées de puissances lancées sur eux tout le long des piliers de la Création ne servaient à rien.

Bientôt, je serai de retour dans un vide qui n’est que moi. Je savourerai la paix de l’inconscience longtemps. Mais combien de temps avant qu’une nouvelle flamme surgisse en moi ? Combien de temps avant que je ne puisse résister au besoin de vivre, d’exister, et donc de souffrir encore ?

— Dans les moments les plus sombres, quand les abominations rodent dans les ombres, je suis là. Je monte dans le ciel. Je capte la lumière d’EL, et je rends sa blancheur sacrée. J’illumine toute la vallée, le désert, l’océan, la forêt. J’éclaire la nuit elle-même. 

Dans ce ciel d’un violet profond, un astre blanc apparut, montant depuis l’horizon. Michaël ouvrit grand les yeux, réveillé par sa lumière immaculée. Cette énorme pleine lune se reflétait sur la surface lisse de l’océan. Attends, quel océan ? Le désert avait disparu. L’eau l’avait englouti et conquis la montagne jusqu’à lécher les pieds entravés de Michaël.

— Par EL, j’ai fini par m’endormir, comprit le jeune prince.

Soudain, la grosse lune se balança et sans faire un bruit, se décrocha des cieux. Le souffle coupé, Michaël observa l’astre rapetisser puis descendre sur la montagne. Un éloha était dessus, assis, les jambes croisées. El immobilisa son astre de transport et toisa Michaël.

— Brenna…

Le grand Fitzarch sourit.

— Tu sors d’un bal ? lui demanda Michaël.

En effet, Brenna était vêtu d’une énorme robe de tulle rose. Sa peau mate était couverte de particules d’or et d’argent. Ses longs cheveux auburn, frisés, cascadaient glorieusement autour de son visage, couronné par son halo d’or et de lumière mauve.

— C’est la semaine de la mode, expliqua Brenna. J’ai été invité à des centaines de défilés. Non pas que ce genre de choses t’intéresse.

Michaël fit la moue.

— La mode j’aime bien. C’est les invités qui m’intéressent pas. Surtout ceux qui viennent d'Ennead...

— Oh donc tu préfères rester ici au lieu de participer aux mondanités ? Belle manière de commencer l'ann... le cycle.

Michaël pinça les lèvres, serra les poings.

— J’ai pas trop le choix mmh ?

Brenna fit un demi-sourire.

— Je sais même pas comment j’ai fini ici ! pesta Michaël.

— Oh vraiment ?! dit Brenna en levant les sourcils.

— Els m’ont endormi je ne sais comment ! Et je me réveille en plein milieu du désert avec un ophana complètement taré qui viens me rendre fou !

— C’est moi qui t’ai endormi.

Le visage de Michaël se figea de surprise, puis de crainte.

— Seul un deuxio peut faire ça à un autre deuxio, continua Brenna. Ni Raphaël, ni Daniel, ni personne d’autre que moi dans ce royaume n’en est capable. Juste moi, enfin, si on ignore les autres Fitzarchs.... Je t’ai endormi lors de ton arrestation et je t’ai de nouveau endormi là, maintenant…

— Raphaël t’a ordonné de le faire ? finit par souffler Michaël.

— Non, je l’ai fait spontanément.

Le petit prince ouvrit grand les yeux.

— Alors tu es de son côté ?!

Brenna soupira, son expression durcie.

— Michaël… Ce que tu as fait… C’est inadmissible. Si tu avais été chez HodArch j'aurais réagi comme Raphaël l'a fait. Je t'aurai puni.

Le jeune prince bondit sur ses pieds, révolté. Sa voix s'enflamma d'une divine fureur. 

☿ — J’ai fait mon devoir ! J’ai voulu sauver nos frères anges-gardiens et leurs chorales !

— Tu as désobéit à ton archange.

☿ — C’est lui qui a fait n’importe quoi ! On avait prévu de descendre pour sauver les gardiens. Pourtant le moment venu el a refusé, juste parce que Nukvah était là ?!

— En rétrospective, les gardiens de Sicad n’étaient pas sauvables, révéla le héros de Tophana. Els se sont condamnés lorsqu’els ont ignoré l’alerte qu’on leur a envoyé des heures avant l’arrivée de la horde.

— Els l’ont pas ignoré ! Els l’ont juste pas reçu ! Il y a eu une corruption. Leur chérubin-commandant me l'a dit. 

Brenna prit une expression pensive.

— Dans ce cas leur mort est une bénédiction d’EL. Si une corruption circulait parmi eux, c’est mieux ainsi.

Michaël, qui tirait sur les chaînes qui retenaient ses ailes, tomba en arrière.

☿ — J'aurai pu les sauver quand même ! J'avais un plan !

— Ah ! ria Brenna. La fusée explosive !? C’est ça que tu voulais tenter tout seul hein ?! Ha ! Oh par EL.

— On avait dit qu'on ferait comme à Tophana !

— Ah ! Mais mon pauvre, j'avais des milliers d'élohim et de nobl'ailes avec moi à Tophana. Notre lumière était immense. Dans ton cas, ta fusée et ses malheureux occupants auraient fini dévorés à peine cent mètres dans la couche de ténèbres ! Votre lumière pitoyable aurait été soufflée ! Pssht !

☿ — Vous m'aviez dit qu'on ferait la fusée ensemble ! Ennead et HodArch ! Les gardiens se sont réunis comme on leur a demandé mais vous les avez abandonnés quand même ! Vous avez abandonné le plan !

— Un plan, ça change. Raphaël a changé le plan et à sa place j'aurai fait la même chose. Tu aurais dû comprendre, ou du moins obéir. Ton initiative était suicidaire. Tu devrais te jeter aux pieds de ton archange pour le remercier. El a pris un risque énorme pour te sauver ta vie.

— S’el a sauvé ma vie, el aurait pu sauver celle des gardiens.

Brenna secoua la tête.

— Raphaël et moi n’avons aucune leçon à recevoir de ta part. Tu es peut-être un Fitzarch, mais tu es né hier. Tu es un enfant ignorant, ce qui est acceptable, mais en plus tu es stupide et égoïste, ce qui ne l’est pas.

— Peu importe mon âge. J’ai toutes les connaissances que le royaume de Hod peut offrir, protesta Michaël. Ma graine descend directement de Sandalphon en personne, et du Grand Architecte en plus ! Je suis la quintessence d’une vertu et surtout, j’ai un courage que vous n’avez pas.

— Michaël, tu as vingt ans !

— Et alors ?

— J’en ai trois mille cinq cent ! Et Raphaël mille de plus ! Et puis tu as participé à quoi ? Cinq ou six sorties dans le cosmos avec Ennead ? Depuis ta sortie du nid tout ce que tu as fait c’est fourrer ton nez dans de la documentation ou gesticuler dans des simulations. Tu n’as aucune expérience sur le ciel de bataille.

☿ — La faute à qui ? Moi je demande que ça de me battre ! Enfin, de tisser sur nos combattants. C’est vous qui me confinez dans vos vaisseaux et vos sanctuaires !

— Oui, mais c’est pour une bonne raison. De toute évidence, tu n’es pas prêt pour assumer un rôle de vertu militante.

Michaël resta bouche bée quelques secondes. Brenna continua :

— Ton courage et tes pouvoirs sont précieux. Ils seront préservés dans le sanctuaire de Kokab jusqu’à ce que tu deviennes mentalement mature.

Soudain, le vent se leva. Un soupir glissa sur la surface de l’océan. Crac ! La lune de Brenna se fissura. Le grand Fitzarch sursauta. L’astre craqua et sa coquille s’entrouvrit. Un élohim était à l’intérieur ! Comme un bébé sortant d’un œuf, el émergea. D’abord sa main, dotée de long ongles verts. Puis Michaël vit une partie de son visage. El avait une peau pâle, des cheveux dorés, tout comme son halo.

— Siriniel ? reconnu le jeune prince.

La domination pressa sa petite bouche rose dans l’ouverture de la lune.

— Michaël. Michaël meurtrier ! Meurtrier ! Meurtrier !

— Hein ?

Le sang de Michaël se glaça dans ses veines. Siriniel aussi s'était retourné contre el ? El était le bras droit de Brenna. El n'avait pas participé à la bataille et n'était pas concerné par ce qu'il s'était passé. Que lui voulait-el ? Siriniel continua de parler, sans que Brenna, figé, ne semble le voir.

— Meurtrier ! Malgré ce que tu as fait, je t'envoie le message de mon frère Constantiel. El l'avait pour toi mais n'a pas eu le temps de te le donner. Écoute ! L'ennemi émerge des ombres de Sicad comme la lune émerge de l’océan. El t'ouvrira en deux et en mille pour purger ta flamme. Attention à ton masque. Seule ta ruse meurtrière pourra te sauver du dragon. Attention à ton masque. Puis viendra la longue marche, à la fin, une brisure irréparable. Attention à ton masque. Tu n'auras qu'un reflet pour sortie. Attention à ton masque. Attention à ton masque. Attention à ton masque.

Subitement, Brenna reprit vie et posa ses deux mains sur son astre pour le presser fort. La fissure se referma. Siriniel disparu. Michaël vit le regard de Brenna se figer d’inquiétude. Puis, sans dire un mot, lui et sa lune remontèrent vers les cieux.

— Non ! Brenna ! Me laisse pas ! s’écria Michaël. Me laisse pas tout seul ici…

Alors qu’el criait, el sentit la peau de son visage tirailler. El la caressa, la gratta. Des petits bouts de porcelaine tombèrent de son visage et se déposèrent sur l’océan. Michaël frotta ses joues, les cœurs battants. Son expression se décomposa.

— Oh…

Dans l’océan onirique, le corps de Nakirée flottait juste sous la surface. El était comme Michaël l’avait découvert au plus profond des monolithes, mais ses yeux étaient fermés, son halo éteint. Un profond chagrin monta dans la poitrine de Michaël. Le chérubin coula et disparu dans les profondeurs. Les corps des gardiens de Sicad apparurent de même, coulèrent de même. Michaël projeta sa lumière vers eux.

— Je suis désolé, au revoir, je suis désolé, dit-el.

Ces mots soufflés entre ses lèvres se transformèrent peu à peu en une litanie qui parut évidente à Michaël, comme si el lui était familière. De tous les mots qu’el avait prononcé dans sa vie, el réalisa qu’els n’étaient tous que ceux-là : Emmenez-moi avec vous… Emmenez-moi avec vous… Emmenez-moi avec vous… C'est alors que Constantiel apparut. El nageait de nouveau, dans l'océan cette fois, mais ses gestes étaient lents et las. El finit par couler el aussi. Michaël, accroupi, avança vers l’océan les yeux fermés et y plongea entièrement. El fut enveloppé d’un froid final. La paix.

Le vide. 

Quel ennui…

Michaël se réveilla. El retrouva le désert, le vertige du sommet et la tranquillité étrange du fleuve de métal. L’océan avait disparu avec le sommeil offert par Brenna. Les cieux de Hod étaient redevenus mauve clair, mais l’air matinal portait encore la fraîcheur de la nuit. Au loin, les douches de lumière coulaient encore. Le regard de Michaël se perdit dans leur beauté divine. Mais à l’horizon, trois petites étoiles apparurent. L'appel de la jeune vertu avait été entendu.

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