Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 6

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— Alors ! Tu nous racontes la suite de l’histoire ?

Michaël sursauta et se redressa, la tête enfarinée. Par El, chui où ? Confus, l’estomac serré, la jeune vertu scruta les environs du regard, alors qu’une horrible litanie résonnait encore dans son esprit. El tint bon et vit qu’el se trouvait maintenant dans une pièce ronde au plafond en coupole, imitant la forme d’un œuf. Les murs capitonnés enveloppaient chaque bruit d’une douceur feutrée, assurant un repos absolu. Rassuré par cette atmosphère de douceur, Michaël baissa les yeux. Autour d’el, six petits élohim l’observaient intensément. Oh… Je suis au gynécée, reconnu enfin la vertu, qui demanda d’une voix pâteuse : 

— Quelle histoire ?

— L’histoire que tu avais commencé la dernière fois que tu es venu ! s’exclama un enfant. Tout à l’heure tu nous as promis de raconter la suite si on te laissait dormir d’abord.

— Ah… C’était celle où Aradim et Padmilia libèrent Netzach des ténèbres ? balbutia Michaël.

— Non ! C’était celle de la Shkina !

— La Shkina ? Non, on dit She-kki-nah. Et puis de quelle Shekkinah vous parlez, la première ou la seconde ?

Le plus petit des enfants lui expliqua, des étoiles dans les yeux.

— Eh beh, eh beh, EL il a explosé parce qu’il y avait trop de lumière partout. Et, et, et les démons ils ont surgit de l’Abysse ! Oui l’Abysse il s’est ouvert et blaaaaaah c’est la guerre !

— C'est la Première Shekkinah ! s’exclama un autre enfant. Le Porteur de Lumière est apparu et el a battu plein de Grandes Abominations ! El a fait quoi après ?

— Euh…

Michaël, affalé dans un large divan de soie crème, grimaça en se redressant. Les six petits élohim qui l’entouraient le regardèrent avec encore plus d’insistance, trépignant d’impatience. Soucieux de ne pas les troubler, Michaël respira doucement et fit un sourire chaleureux. Se réveillant peu à peu, el reprit le récit de la fois passée d’une voix rauque mais enjouée :

— Le Porteur de Lumière observa à ses pieds le corps dégoûtant de l’abomination qu’el venait de vaincre. C’était un gros animal informe, suintant de ténèbres. Sa bouche ouverte contenait des centaines de rangées de dents, desquelles coulaient un poison noir qui dissolvait tout à son contact. Le Porteur de Lumière maudit ce démon pour l’éternité et porta sa juste colère sur son genre tout entier. Puis el leva les yeux et vit des milliers d’autres énormes démons au loin. Ils s’approchaient tous de lui et des autres primordieux. Ils voulaient dévorer tout !

Les enfants poussèrent des soupirs inquiets. Michaël poursuivit son récit, prenant la voix forte et héroïque du plus illustre des primordieux.

— Alors le Porteur de Lumière dit : “Nous ne pourrons pas combattre éternellement ces ténèbres dévastateurs. Il nous faut nous devenir féconds et nous démultiplier, pour étendre nos domaines sur les Cieux entiers. Il nous faut des millions de serviteurs pour reconstruire EL."

Les petits élohim se redressèrent, piqués d’une vive curiosité. Michaël changea de voix.

— Le Psychopompe répondit au Porteur de Lumière. El dit : “Mais l’Adam Kadmon, le corps d’EL, a été détruit ! Et son âme aussi s’est éparpillée dans la Création, ses fragments innombrables ont dégringolé jusque dans la boue et les eaux des mondes de Malkouth. EL ne peut plus créer de nouvel être. Nous sommes seuls.”

— Oh non !

— Alors le Porteur de Lumière partit. El monta jusqu’au royaume de Kether, qui restait épargné par les engeances de l’Abysse. El se recueillit auprès d’un fragment d’âme d’EL, qui avait subsisté dans la couronne de l’Adam Kadmon. Là, EL confia au Porteur de Lumière le secret de sa Création.

— Le secret ??? C’est quoi qu’EL a dit ? s’exclama un enfant.

— Ça, personne ne le sait. Cependant, tout le monde sait ce que le Porteur de Lumière fit ensuite n’est-ce pas ?

— Il a forgé les azohim !

— Exactement ! Le Porteur de Lumière, guidé par la parole sacrée d’EL, réunit des fragments de l’Adam Kadmon et les baigna dans son feu. De ses poings ardents, el transforma le cristal qui les composait en une chair douce et chaude.  De ses serres affûtées, el sculpta et façonna dans cette chair cristalline des êtres sublimes. El leur donna des ventres féconds, des réceptacles solides pour accueillir la lumière d’EL. C’est là, dans le feu et cristal, que naquit Rahab, la première azoha.

— Et après c’est nous qu’on est nés ! s’exclama un des enfants.

— Et oui ! Les primordieux se sont unis aux azohim pour donner naissance aux élohim. Grâce à nous, à notre travail, EL et son corps, l’Adam Kadmon, commencèrent à être reconstruits.

Soudain, une silhouette drapée entra dans le salon, les bras remplis douceurs et de confiseries. Les enfants fondirent sur elle comme des petits affamés, s’agrippant à sa robe pour faire tomber le délicieux trésor.

— Allons…allons…

Calme, d’une voix ferme et maternelle, la nouvelle arrivée ordonna à ses ouailles de se rasseoir bien en ordre, sans quoi aucun bonbon ne serait distribué. Cela fait, elle sortit un saladier de sous la table centrale et y versa les gourmandises qui, une fois mises à disposition, disparurent à une vitesse record. Alors que la marmaille dévorait à tout va, l’azoha Ophélia s’assit auprès de Michaël, qui l’observa avec amour. Son teint hâlé, olive, était typique des habitants du royaume de Hod. Ses cheveux, cachés sous un voile de soie beige, étaient longs et noirs. Ses yeux gris sous ses grandes paupières étaient incroyablement perçants, si bien que les élohim peu habitués s’en trouvaient toujours troublés. Ophélia avait donné ce regard de tueur à son enfant, qui y avait rajouté un son éclat déterminé.

Voyant Michaël réveillé, Ophélia déploya ses ailes translucides sur el, comme pour le protéger. Mais le jeune Fitzarch se redressa et se jeta dans les bras de sa mère.

— Tu es venue me chercher, dit la jeune vertu, la voix étouffée par des larmes de joie et de fatigue.

— Bien sûr, souffla Ophélia. Bien sûr.

Tout autour, les petits élohim s’agitèrent, réclamant déjà d’autres collations. L’azoha se pencha sur ses ouailles.

— Restez ici et soyez sages, ordonna-t-elle de sa voix de miel. Mes demoiselles viendront vous voir dans quelques minutes. Soyez bons avec elles.

— Oui tante Ophélia, répondirent en chœur les enfants.

La tante-azoha fit un geste aérien et un écran s’alluma sur le mur circulaire du salon, diffusant des dessins animés qui captivèrent immédiatement les petits élohim. Puis Ophélia invita Michaël à la suivre hors du salon. Traversant un couloir feutré, aux murs recouverts de moquette et au sol tout doux, mère et fils arrivèrent dans le salon de la fécondité. C’est dans cet endroit, spacieux, confortable et richement décoré, que la plupart des azohim du Sanctuaire se donnaient rendez-vous après avoir déposé leurs enfants à l’école ou à la crèche, aux bons soins des demoiselles et des tantes. Michaël observa les azohim présentes. Elles étaient toutes plus ou moins enceintes et se prélassaient sous un puits de lumière sacrée, pour mieux faire grandir les petits œufs qu’elles portaient dans leurs ventres. Ce faisant, elles discutaient à voix basse, s’échangeant des nouvelles des Cieux rapportées par leurs époux, mais surtout les potins du moment.

— Avez-vous entendu ? chuchota une azoha aux cheveux d’argent. Raphaël convoite de nouveau une demoiselle. El a déjà seize épouses. Par EL, il faut en laisser pour les autres…

— Les archanges sont insatiables je vous le dis, répondit une de ses camarades. Même le Grand Architecte, que la lumière d’EL le protège, s’est déjà lassé d’Arielle de Netzach. El poursuit une nouvelle maîtresse à Chokmah, chez les chérubins ! Haha ! Franchement…

— Si tu crois qu’el fait ça pour la beauté d’une chokmanienne, tu es bien naïve, renchérit une autre. Tout le monde sait qu’el tente par tous les moyens de reprendre du terrain au Métatron. Parvenir à lui imposer un prince céleste serait une victoire…

— C’est bien vrai, c’est bien vrai… Tiens, en parlant de prince céleste…

Ophélia et Michaël s’avancèrent vers les azohim. Friande des informations qu’elles recelaient, la jeune vertu tendit bien l’oreille.

— Honorée Ophélia, salua l’azoha aux cheveux argent. Nous sommes ravies de voir ton enfant royal. J’espère que sa querelle avec Raphaël sera bientôt de l’histoire ancienne.

— Quelle affreuse journée tu as dû passer, dit une autre, s’adressant à Michaël. Une vertu de ton rang ne devrait pas avoir à subir cela.

Michaël rougit. Évidemment, tout le sanctuaire était au courant…

— Prends une épouse ! conseilla l’azoha aux cheveux argent. Fait des enfants et envoie les à ta place dans la chorale de Raphaël. Comme ça tu n’auras plus à le supporter !

La gorge de Michaël se serra. Ophélia remercia les azohim pour leur accueil et s’éloigna avec son enfant, éludant ostensiblement le sujet de la dispute. Personne dans le salon n’osa insister, car Ophélia était touchée par la grâce. Il y a vingt cycles, le Grand Architecte en personne, souverain des Cieux, avait posé son regard sur elle et l’avait trouvé si belle et si brillante, qu’el avait décidé de lui faire porter son enfant. Ainsi honorée, Ophélia avait donné naissance à Michaël et obtenu par là même un statut aussi rare que particulier, celui de maîtresse céleste. Ainsi, ni épouse, ni à marier, elle ne pouvait pas non plus, comme les matriarches, devenir ambassadrice, diplomate, ou simplement maîtresse de nid. Après cette union, une seule option s’était présentée à Ophélia : entrer dans le harem du palais d’argent de Tiphéreth. Mais l’azoha avait refusé de suivre cette voie pour pouvoir se consacrer à sa véritable passion : être tante, et apprendre aux demoiselles-azohim à devenir de bonnes mères et servantes d’EL. Souriante, elle claqua dans ses mains.

— Le cours de rituels est décalé à demain matin, annonça el aux mères-azohim. Informez-en vos demoiselles.

Les mères-azohim acquiescèrent poliment et attendirent qu’Ophélia quitte le salon pour reprendre leurs conversations. Mère et fils s’installèrent dans une véranda adjacente, qui depuis les hauteurs du Sanctuaire, donnait une vue splendide sur Kokab, son paysage d’ocre et d’argent. En soupirant, Michaël détourna son regard du décor pour regarder ses pieds, tout penaud.

— Raconte, dit doucement Ophélia, assise dans une chaise en osier.

— Je suis sûr que tu sais déjà…

— Je veux avoir ta version, insista l’azoha. Par EL, el t’a envoyé chez les séraphins. J’ai l’habitude de vos chamailleries mais là, une ligne a été franchie.

Michaël prit une grande inspiration et se résolut à raconter les évènements. Au final, el conclut :

— Je trouve qu’on ne s’implique pas. Dans tous les combats où nous sommes allés, j’ai dû pousser Raphaël à intervenir, donner un coup de pied dans son orgueil pour lui faire sortir les forces d’Ennead. Et quand el nous déploie enfin, el m’empêche de faire mon travail, de protéger, sauver ceux qui en ont le plus besoin. Le peupl’aile, les gardiens, les élohim de haute génération dont personne ne se soucie. On les pense facilement remplaçables, mais ce sont eux qui font tout le travail au quotidien pour faire avancer le Grand Dessein. C’est tellement…injuste.

Ophélia regarda longuement son enfant, puis lui demanda :

— Pourquoi retient-el ses troupes selon toi ?

— Parce qu’el est lâche, répondit immédiatement Michaël. Enfin…je ne sais pas…

— El a pourtant prit de grands risques pour te ramener lorsque Nukvah a frappé.

— Je sais, c’est vrai… Mais je pense qu’el avait surtout peur de la fureur du Grand Architecte. El ne pouvait me laisser mourir s’el tenait à sa vie. Mais ce que je veux dire c’est que, comme la plupart des nobl’ailes, faut être honnête, Raphaël ne veut pas se battre. Et surtout el veut pas que je me batte. El considère que c’est au peupl’aile de se sacrifier sur le front, parce que nous, les nobl’ailes, faut qu’on protège notre patrimoine génétique. Surtout moi.

— Tu penses qu’el te traite de manière différente car tu es un Fitzarch ? demanda Ophélia, un éclat malicieux dans le regard.

Michaël ria un peu, tout en soupirant encore.

— Tu le sais bien. Les azohim ne parlent que de ça là, dans le salon et dans tous les autres gynécées des Cieux d’ailleurs. Je suis un éloha de deuxième génération, fils du Grand Architecte, le seul primordieu encore en vie. La lumière d’EL est plus présente en moi que chez n’importe quel autre éloha, enfin, c’est comme ça chez tous les “deusios”. Mais bon, avoir cette puissance, cette force, c’est un privilège pour moi ! Qu’elle chance j’ai ! Et pourtant, au lieu de m’envoyer aider nos troupes avec mes énormes pouvoirs, Raphaël tiens absolument à me garder calfeutré ou en arrière-garde. Parce que sinon, el pourra pas multiplier mon code génétique pour créer des armées de jolies vertus de 3ème et 4ème génération, qui pourront ensuite pondre des myriades de vertus peupl’ailes à envoyer sur le front. Voir mes enfants et petits-enfants crever au combat à ma place, c’est le seul destin qu’el me réserve. Oh par EL ! Mais moi je suis fait pour me battre ! Je veux me battre !

— Tu veux … ? fit Ophélia, taquine.

— Je veux me battre ! répéta Michaël en riant. Mais lui el veut que je sois une machine à faire pondre, une…une…

— Une azoha ?

— Oui ! Il veut que je sois une azoha !

Michaël, emportée dans sa passion, se rassit, perdant son sourire.

— Je ne veux pas dénigrer le rôle des azohim bien sûr, dit la jeune vertu.

— Bien sûr, sourit Ophélia.

— Et je ne dis pas que vous êtes similaires à cela mais, Brenna, Raphaël, les HodArch et Ennead, els vont sur le front certes. Mais en vrai, quatre-vingt pourcent du temps, els passent leurs vies à faire la fête, à se chamailler et surtout à s’envoyer en l’air. Els ont tous des épouses, des concubines et des centaines de gosses. Els sont les êtres les plus puissants du Royaume et c’est tout ce qu’on attend d’eux, tout ce qu’on leur donne à faire. Et le pire c’est qu’els s’en contentent bien.

— Donc tu penses que c’est cela que Raphaël attend de toi ? demanda Ophélia. Rester en sécurité pour te reproduire. El t’en a parlé ?

— Parlé ? reprit Michaël. Non… Mais c’est le standard pour la quasi-totalité de son entourage alors…

Ophélia ne relança pas son fils et se contenta de l’observer, du même regard si perçant dont el avait hérité.

— Je suis désolé de me plaindre comme ça, finit par dire Michaël. Je suis insupportable hein ? Raphaël à raison. Je suis qu’un gamin privilégié qui ose se montrer ingrat.

— Non, non tu n’es pas comme ça. Écoute-moi.

Ophélia se leva et vint s’agenouiller devant son enfant, prenant ses mains dans les siennes.

— Raphaël ne manque pas de travers, dans ses pensées comme dans ses actes, mais je sais qu’el tient beaucoup à toi et pas juste pour tes gênes. Tu es l’éloha le plus fort, le plus courageux et le plus déterminé de sa cour. El t’admire, el t’aime, autant que quelqu’un comme lui le peut, je le sais.

Michaël fronça les sourcils et fit une grimace dégoûtée. Ophélia secoua la tête, amusée.

— Tu es jeune, si jeune.

— Je sais, on me le rappelle souvent…

— Tu as encore beaucoup, beaucoup de temps devant toi, pour découvrir le rôle qu’EL te réserve, pour trouver ta voie.

— Trouver ma voie ? Mais je l’ai déjà trouvée ma voie, c’est juste qu’un grand dadet me barre le chemin. Et puis je ne suis pas sûr d’avoir tant de temps que ça. Les démons…les démons progressent maman…

— Je sais bien, soupira Ophélia, je sais bien…

— Je suis désolé, dit Michaël. Je ne voulais pas te causer du souci. Tu es habituée n’est-ce pas ? A mes…bêtises.

Ophélia se leva et fit quelques pas dans la véranda, arrangeant le drapé de sa longue robe.

— Lorsqu’on devient mère-azoha, on apprend à gérer ce genre de choses, répondit-elle.

Michaël rougit.

— Merci pour tes conseils. Je serai patient, c’est promis, j’ai confiance en EL.

Ophélia se rassit alors dans son fauteuil d’osier. Protégeant sa main sous un pan de sa robe, elle sortit d’une poche cachée une petite boule de cristal noire. Michaël sursauta.

— Mère ! Cache ça, vite ! Si quelqu’un te surprend…

— Du calme, sourit Ophélia, regarde, dit-elle, en montrant sa main couverte. Je ne touche pas directement le cristal.

— Mais les azohim ne doivent pas manipuler les cristaux, chuchota Michaël. C’est l’ordre du Porteur de Lumière. Il parait que c’est dangereux pour…

— Allons mon fils, je sais ce qui est dangereux pour moi et ce qui ne l’est pas. Calme-toi donc et laisse-moi parler.

Michaël retomba dans sa chaise, s’agrippant aux accoudoirs.

— J’ai retrouvé ce cristal dans le pli de ton aile mon fils, expliqua Ophélia.

Michaël fronça des sourcils, s’approchant de l’étrange objet. Il ne ressemblait pas aux boules de cristal habituelles, dont les élohim se servaient pour accéder au réseau EL depuis n’importe où. Souvent translucides, brillantes et colorées, elles n’avaient pas grand-chose en commun avec ce cristal si noir qu’il semblait absorber la lumière alentour. Après quelques secondes de perplexité, Michaël réalisa :

— Je crois que c’est… c'est la boule de cristal d'un des gardiens de Sicad.

— Ah ? fit Ophélia.

— Oui… Nakirée, le chérubin que j'ai essayé de sauver, c'est lui qui me l'a confié. El appartenait à un de ses amis, un commandant angélique…

Le regard de Michaël se troubla alors qu'el plongeait dans ses souvenirs. Ophélia lui tendit le cristal et la jeune vertu le prit entre ses mains, le contemplant en silence. Toute la bataille de Sicad lui revint alors à l’esprit, se jouant de nouveau devant el. Le chaos, la bravoure et la douleur des élohim. Les chants frénétiques acclamant Nukvah. Les centaines d’yeux de Nakirée, l’ombre dans l’ombre et la blancheur apocalyptique.

☿ — Quelque chose ne va pas, murmura Michaël, la voix raillée d'une colère brûlante, les yeux remplis d’un doute grave.

Ophélia inclina sa tête, plongeant son regard dans celui de son enfant.

☿ — Il s'est passé quelque chose avec un séraphin. Oui, les séraphins… els étaient insoutenables.

Ophélia leva un sourcil :

— N’est-ce pas là ce qui les définit le mieux ? fit-elle, rieuse.

— Non, si, enfin, là els étaient littéralement insoutenables, je… Els ont brisé notre filet de Lumière, je ne pouvais pas les soigner, les calmer. Au lieu de suivre notre retraite els ont jeté nos troupes sous l’assaut de Nukvah. Et puis ensuite, dans le monolithe, Nakirée m’a dit qu’un séraphin avait fait quelque chose de mal… ah mince je m’en rappelle plus. Je crois que j’ai vu un grand séraphin, avec un trident ?

Ophélia se leva soudain, posant sa paume sur le front brûlant de Michaël.

— Allons, vient, tu es encore sous le choc. Tu devrais aller te coucher.

— Non, non, haleta Michaël. Il faut que je prévienne Raphaël, qu’el prévienne Malkouth, qu…

Ophélia souleva son enfant, passant un bras autour d’el pour le mener dans une chambre. Michaël ne résista pas. Glissant le cristal noir dans la poche de sa robe de chambre, el se laissa entraîner par sa mère qui le déposa dans un grand lit-œuf. Allongé, Michaël se mit cependant à trembler comme une feuille. 

— Qu…qu…qu…

— Michaël, souffla Ophélia, son enfant dans les bras. Je vais chercher le médecin ! Je vais le chercher !

— Non…non…, murmura Michaël entre ses dents. C’est qu’une crise de décompensation. Ça va passer.

— Je vais quand même l’appeler !

— Non ! Reste avec moi ! Reste avec moi maman ! Je t’en prie !

Ophélia resta au-dessus de son fils, qui convulsa pendant plusieurs minutes encore. Michaël tissa tant bien que mal des thaumaurgies sur son propre halo et finit par se calmer. Son corps resta douloureux. Son esprit alerte. 

— Raphaël aurait dû te préserver de tout cela, dit Ophélia. 

— Oh par EL, soupira Michaël.

La frustration s’ajouta à sa douleur. 

— Demain il faut que je prévienne Raphaël, demain…

— Il faut que tu dormes, dit Ophélia. Ton esprit est fragilisé.

Michaël soupira. Tisser une thaumaturgie de sommeil n’était pas si facile, même pour el. La présence de Brenna, maître du sommeil et de l’oniromancie, aurait été utile. Sans aide de son grand frère, la jeune vertu fit de son mieux et plongea dans un demi-sommeil, remplit de visions vivides. Là encore, la bataille de Sicad se rejoua. Le visage de Constantiel apparut, pour finalement se fondre dans les étoiles du cosmos de Malkouth. Les astres gonflèrent, devinrent globuleux. Les centaines d’yeux de Nakirée transpercèrent Michaël. Le chérubin lui tendit la boule de cristal sombre, encore. El grandit, grandit et grandit, jusqu’à atteindre la taille planétaire de Sicad elle-même. Le bruit de draperies résonna dans le cosmos. Nukvah apparut. El rapetissa et prit la planète dans la paume de ses mains. Son visage statuesque changea, s’enveloppa de soie et d’un parfum de myrrhe. La silhouette géante ramassa du sable doré et le frotta contre la surface du cristal. Des gravures apparurent alors, de longues écritures lumineuses. Les yeux de Nakirée se fermèrent. Ceux de Michaël s’ouvrirent. 

Le jeune prince se réveilla dans un sursaut. Les cœurs battants, el regarda autour d’el. Ophélia était assise sur un divan en face du lit, devant une table basse. L’azoha regarda son enfant, d’un air légèrement surprit. El se leva et prit Michaël dans ses bras. Le jeune prince se laissa bercer de longues minutes, la gorge remplie de larmes. A un moment, ses yeux se levèrent et virent que sur la petite table basse, la boule de cristal sombre reposait. 

— Tu as pris le cristal ? demanda Michaël en se redressant pour faire face à sa mère. 

Ophélia ne répondit pas, mais son air surprit revint. Elle recula, se leva, arrangea sa robe de soie beige. 

— Mère tu ne dois pas toucher à ça. Si tu le fais encore je le dirai aux gardiens du gynécée.

Ophélia se figea. Ses sourcils se levèrent. Ses iris froids transpercèrent ceux de Michaël. 

— Euh, bon ok je dirai rien, balbutia le jeune éloha. Pardon. J’ai dit ça juste parce que… ça m’inquiète tout ça.

Le visage d’Ophélia se radoucit. L’amour maternel remonta dans ses yeux gris. 

— Si tu veux alerter Raphaël de ce qu’il s’est passé à Sicad, tu dois réunir des éléments. Regarde donc ce que contient cette boule de cristal.

Michaël se leva, se dirigea vers la table basse et saisit le petit objet pour l’étudier.

— Je ne comprends pas pourquoi Nakirée m’a confié ce cristal, dit-el. El aurait pu me donner un caillou, ça aurait été pareil… 

Ophélia fit une moue intriguée.

— Nakirée parlait comme si cette boule contenait un secret qui révélerait une corruption, marmonna-t-el. Mais les boules de cristal ne “contiennent” rien d’habitude. Elles ne sont qu’un catalyseur pour attirer la lumière d’Ein Sof et accéder au réseau EL. C’est là que les échanges de données se font. 

— Mmh mmh, acquiesça Ophélia d’un petit air mutin. 

— Les données échangées sont stockées dans nos esprits, continua Michaël, lancé dans sa réflexion. Si je veux savoir ce qu’il est arrivé au commandant des anges, ou avec le séraphin là… Je dois les retrouver eux-mêmes. Mais els sont sûrement morts…

Ophélia se dirigea vers la porte de la chambre. Mais avant de la quitter, el se retourna et dit à son fils :

— Ce chérubin n’était pas idiot. S’el t’a confié cette boule c’est que quelque chose se cache à l’intérieur. Cherche donc et pense à la théorie ensuite. 

Michaël acquiesça face à ces paroles qu’el trouva pleines de bon sens. 

— Je vais vérifier que tout se passe bien auprès de mes ouailles, dit Ophélia. Je reviendrai bientôt. Repose-toi autant que possible. 

Michaël s’approcha. Mère et fils échangèrent un dernier câlin. Puis Michaël s’assit dans un divan et se concentra sur ce petit objet, sûrement plein de secrets. La lumière mauve de son halo s’y projeta. Comme el l’attendait, el n’y trouva rien. Le cristal ne fit qu’attirer la lumière naturelle d’Ein Sof sur el, lui donnant un accès hyper rapide et fluide au réseau EL. Plongé dans le réseau, Michaël vit d’innombrables halos circuler dans la structure du Sanctuaire de Kokab. El pouvait communiquer avec tous ces élohim par télépathie. Même sans l’aide du cristal, Michaël aurait pu le faire, car le Sanctuaire était l’endroit le plus baigné de lumière du royaume. Mais depuis les Shekkinah et le surgissement des démons, la lumière n’était pas aussi forte partout, ce qui avait rendu les boules de cristal indispensables. Habitués, les élohim les utilisaient tout le temps. Elles permettaient aussi un meilleur accès aux données lointaines, souvent stockées et émises via des cristaux-serveurs. 

— Que caches-tu, que caches-tu, soupira Michaël en frottant son pouce sur la boule lisse. 

Michaël se retira du réseau et disséqua des yeux la petite boule. El y projeta encore sa lumière, mais garda son regard rivé dessus, au point de loucher. El s’imagina entrer dans l’objet, dans le cristal lui-même. El s’imagina ne faire qu’un avec la matière du minéral. Quelle drôle d’idée, se dit-el. El voulu s’éloigner, reporter son regard dans la chambre, mais…

— Eh ? Euh…

Michaël resta bloqué, incapable de fermer les yeux, de poser le cristal. El réalisa qu’el flottait et qu’el n’avait plus de corps. El pensa s’être replongé sans le vouloir dans le réseau EL, mais el ne voyait plus les halos des autres. Tout était sombre, marron. Michaël observa des scintillements dorés devant el, flous. Son regard s’ajusta. Deux halos apparurent, un rose et un orange, enflammé. Le premier portrait le nom de Miel, le second, celui de Burrhus.

“Miel”, “Burrhus”, Nakirée a prononcé ces noms, se souvint Michaël, se basant davantage sur un instinct primaire que sur de vrais souvenirs clairs. 

Les deux halos de ces élohim n’étaient pas comme ceux des autres, circulant dans le réseau. Ils étaient fixés dans le cristal et semblaient plats, comme projetés sur un écran. Michaël ne sut comment, mais el comprit que ces deux halos n’étaient pas rattachés à deux élohim présents dans le réseau. Ils étaient comme une trace, une relique du passé, laissé dans le cristal qui avait reçu leurs esprits auparavant. 

Michaël tourna, monta, descendit. El chercha des traces d’autres halos, en vain.  

Qu’avaient bien pu se dire Miel et Burrhus dans le réseau EL, via ce cristal ?

Pourquoi seuls leurs halos avaient laissé une trace dans l’objet ? Miel n’avait-el pas communiqué avec d’autres élohim à travers son cristal ?

Nakirée avait accusé Burrhus de sabotage et s’était beaucoup préoccupé du sort de Miel. Le séraphin avait-el mit l’ange en danger ? Ou pire…

Comment ces deux élohim avaient-els pu laisser une trace dans le cristal de toutes façons ? Michaël avait apparemment eu tort lorsqu’el avait clamé que les boules de cristal ne contenaient rien. C’était pourtant ce que tout le monde pensait.

Tant de questions…

Michaël, stressé, ferma les yeux et recula dans l’espace étrange. Lorsqu’el rouvrit les yeux, el retrouva la chambre, avec un certain soulagement. 

— Aie, oulaaaa.

El battit des paupières. Une douleur abominable pulsait maintenant dans son crâne, accompagné d’une fièvre glaçante. Ses cœurs battaient la chamade. Sa curiosité n’avait fait que soulever l’existence de bien des mystères. Michaël contempla un instant la possibilité de replonger dans le cristal pour l’explorer davantage, mais sa douleur et son stress l’en dissuadèrent. 

Je vais en parler à Raphaël demain. El saura surement mieux comment exploiter ces indices.

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