Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 7

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Dans le monolithe, comme à la surface de Sicad, un froid absolu régnait. Un vent sec balayait les cendres de ce qui fut autrefois un havre de vie, formant çà et là des tempêtes de poussière.

— Brrr…

A l’abri dans les entrailles d’un des monolithes noirs, Miel frissonnait. Couvert de suie grise, ses vêtements déchirés, el pleurait silencieusement. Aucune tristesse ne luisait cependant dans son regard. Plutôt une sourde frustration, et une volonté urgente de fuir. L’ange poussa un gémissement de dégoût, alors qu’el replongeait dans son labeur.

Plop, plop, plop…

Penché sur son cadavre, Miel arrachait un à un les yeux de Nakirée. Le chérubin en avait tellement que dans son extraction, l’ange avait fait auprès d’el une petite pile de globes oculaires sanguinolents. 

— Qu’EL maudisse ce fichu Burrhus ! pesta l’ange.

Tout autour d’el, des milliers de cadavres s’étalaient à l’embouchure des souterrains et sur la plaine au-dessus. Parmi eux, des élohim avec qui Miel avait travaillé pendant des millénaires à servir le Grand Dessein. Certains même qu’el avait connu avant la Seconde Shekkinah, avec qui el s’était battu dans les troupes du Grand Architecte lui-même. 

Miel se souvenait encore des galaxies de Malkouth aux étoiles étincelantes, leurs spirales déchirées par des stries de ténèbres qui transportaient des hordes innombrables. El se souvenait encore de l’immense lumière mauve du Grand Architecte descendre du firmament, alors qu’en dernier recours, le primordieu allait transformer de simples gardiens et fermiers d’âmes en soldats de pacotille. Et el se souvenait aussi du moment où le primordieu était descendu sur Sicad pour survoler des océans remplit des cadavres de ses propres enfants. L’odeur âcre de l’ichor, le sang versé des élohim, lui remontait au nez. Et aussi celle de la poussière grise, chargée de brûlure, qui soufflait partout. Miel était de retour à ce moment d’il y a 6000 cycles. Tout ce travail depuis, pour quoi ? Sicad était comme revenue dans ce passé, à ce point du temps où la Création avait frôlé sa fin.

Miel comprit mieux ce qu’avait sûrement ressentit les primordieux lors de cette Seconde Shekkinah. Six mille cycles plus tôt, els avaient vécu la Première, une tragédie, qui avait nécessité tant travail pour tout reconstruire. Puis soudain était survenue la Seconde, qui avait balayé tout ce qui avait été accompli. Oui, Miel venait de vivre sa Seconde Shekkinah. Son esprit s’embrouilla. El s’attendit à recevoir une nouvelle atroce, celle de la mort de six des primordieux, comme el l’avait reçu à l’époque. El s’attendit à perdre tout contact avec la Création, suite à la disparition des trônes, qui ne seraient que dans bien longtemps remplacés par les ophanim. Mais non, les primordieux étaient déjà morts, les ophanim avaient déjà redonné leurs yeux aux élohim. Le Grand Architecte venait-el de mourir à son tour dans une Troisième Shekkinah ? Quel chœur élohien avait disparu cette fois-ci ?

Le grondement d’un vaisseau se posant résonna dans l’espace. Malade à en gerber, Miel finit par jeter les yeux de Nakirée loin dans l’obscurité.

— Cesse, ange, tonna une voix profonde depuis l’entrée du monolithe.

Couverte de lumière blanche, l’issue plongea longtemps dans un contre-jour la silhouette de celui qui s’avançait alors.

— Il nous faut emporter tous ces yeux sans quoi quelqu’un risque de les retrouver, dit le nouveau venu.

Miel se redressa en poussant un grognement excédé.

— “Burrhus” ! appela l’ange, en formant des guillemets du bout de ses doigts couverts de sang doré. Ça va ?! Pas trop secoué ?! Tu as pris ton temps !

Le séraphin leva un sourcil circonspect. El lâcha un soupir las et soudain…

— AH !

Une explosion de flammes noya l’univers. Burrhus s’embrasa tout entier sous les cris hallucinés de Miel. La stature du grand séraphin disparu pour en révéler une plus grande encore. Géant, el illumina l’univers d’un halo de feu sans pareille. Ses trois paires d’ailes devinrent immaculées. El s’enveloppa d’une aura blanche, infinie. A côté de ce miracle, le noble et ancien Miel ressemblait à une petite poupée toute sale.

— Ha ! Ha ! Par EL ! s’écria l’ange. Seigneur, archange, non ! Non !

— Du calme.

— Souverain de la Couronne ! Cruel que tu es ! Tu m’as laissé seul face à… à l’avatar du “Transporteur de…”

— Je sais.

— Tu l’as attrapé, dis ?

— Bientôt. Mais ce n’est pas ton problème.

L’archange-séraphin avança dans l’obscurité. Ses traits se révélèrent dans son feu. Sa peau était noire comme l’abîme, mais ses traits se dessinaient par des reflets dorés. Son visage était long et ses paupières lourdes. El brandit sa main droite en avant et dans une tornade de feu, el invoqua un trident plus grand que lui encore. Son arme enflammée éclaira les murs sombres des souterrains, couverts de gravures insondables. 

Burrhus avança, laissant Miel derrière el. El s’enfonça dans les profondeurs des souterrains, jusqu’à atteindre une grande salle centrale. Le sol, soulevé comme par un tremblement de terre, y était recouvert de sable doré. Une partie de ce sable avait été frotté sur les murs pour faire apparaitre leurs gravures ésotériques. Là s’étaient réunis les Gardiens de Sicad avant de sortir. Et de mourir. 

— Bien. Allons-y.

Burrhus déploya doucement ses trois paires d’ailes et lévita. El ferma les yeux et projetta les flammes de son halo partout sur les murs. La tempête de feu se mit à tournoyer pour former un vortex, qui descendit pour s’enfoncer dans le sol. Le sable se souleva et s’accumula dans les hauteurs alors qu’en bas, la salle se creusait, révélant une ouverture dans le sol défoncé. Burrhus y entra, pénétrant dans le cœur caché des monolithes. 

Dans la salle hexagonale, tout avait été laissé tel quel depuis six millénaires. 

Depuis la capture.

Les corps de centaines d’élohim jonchaient encore le sol, intacts sauf pour les blessures mortelles qui les avaient frappés. Il y avait en même du chœur des trônes, couverts d’yeux. Leurs cadavres étaient alignés le long des murs noirs. Leur sang doré, encore humide malgré les millénaires passés, maculait les dalles striées d’or qui ornaient le sol. Le souffle de Burrhus émit de la vapeur. Malgré la chaleur de ses flammes, l’air glaça son nez. 

— Par AZ…

Burrhus avança jusqu’à une porte d’obsidienne fracassée, qu’el franchit pour se retrouver au sommet d’un escalier double, qui entourait un large puits. El descendit dedans et une fois arrivé à l’étage inférieur, atterrit sur un tout petit objet mou. Intrigué, el se pencha et ramassa ce qui semblait être un chausson de soie et de velours, brodé de quelques perles blanches. Un grincement retentit derrière le séraphin. El se retourna, leva les yeux. 

Douze azohim étaient pendues là, à la large balustrade qui entourait le puits. 

Burrhus entrouvrit la bouche, son souffle émettant encore plus de fumée froide. Le poitrail du séraphin se souleva, mais el se maîtrisa. 

Les azohim ne bougeaient pas, suspendues par le cou ou la base des ailes. Pour certaines, elles avaient perdu un bras, une jambe, une aile translucide. Ces membres étaient tombés au sol sans se briser. Mais leurs revêtements s’étaient en majorité détachés, révélant leurs os de cristal, qui brillaient dans l’obscurité. Burrhus s’approcha. Sur le pied d’une des défuntes, el retrouva un chausson similaire à celui qu’el venait de ramasser. 

Burrhus poussa un râle. Lévitant toujours, el détacha l’azoha et la posa au sol, face contre terre. Son crâne de cristal était ouvert. Dans son cerveau fait de cristal et de sang doré, il y avait un creux sphérique, vide. Une petite boule de cristal, siège de la conscience azohienne, manquait. 

Burrhus ferma les yeux. Ses traits se durcirent. El sembla consterné. 

— Alors ? On ressasse ses meilleurs souvenirs ?

La voix raillée de Miel résonna depuis le sommet du puit. Lorsqu’el vit l’expression du grand séraphin, son visage se figea de peur. Mais la lumière de son halo scintilla vivement, plein de détermination. 

— J’ai fait ce que tu m’as demandé ! J’ai réduit ma vie en cendres pour la vérité ! Ma vie, et celle des autres gardiens !

Burrhus se détourna de l’ange, les yeux remplis d’un feu rageur.

— Je veux savoir où est ma mère-azoha ! dit Miel.

Malgré son piteux état, Miel ne manquait pas de voix. 

— Du calme. Elle n’est pas ici.

— Quoi ? QUOI ? 

Le halo de Burrhus scintilla. Une vingtaine de puissances en armure toute blanche entrèrent alors dans la salle. Le séraphin leur transmit un ordre dans le réseau EL. Deux des soldats saisirent Miel par les ailes et emportèrent l’ange confus vers la sortie. Les autres s’affairèrent à évacuer les corps des élohim. Els les placèrent dans des cercueils et les emmenèrent vers la sortie des souterrains. 

— Ne touchez pas aux azohim, ordonna le séraphin. Elles sont miennes. 

Burrhus détacha une à une les azohim et les inspecta avec minutie. Leurs os de cristal étaient brûlés, leurs systèmes grillés. De la suie sortait de leurs yeux, oreille, bouches. Leurs traits étaient tordus de douleur. Toutes avaient perdu leur noyau cérébral, arrachés. Sans au moins un de ces noyaux, impossible de savoir ce qu’il s’était exactement passé. Burrhus grommela. Sa colère raviva les flammes de son halo. El arrivait trop tard, évidemment. 

Tu ne viens que d’arriver, époux. Tu ne viens que de revenir sur le lieu du crime absolu. Mais son âme est encore là, gravée dans les plus profonds des cristaux. Là où elle a nagé des cycles durant, avant la traîtrise. Plonge dans les profondeurs, étale le sable. 

[Séraphin] Burrhus : L’avatar était là ! Azoha ! pesta Burrhus. El s’est joué de moi ! A quelques minutes près…

Plonge, répéta la voix. Pour l’amour d’AZ. 

Son énorme silhouette chancelante, Burrhus se redressa et fit face au fond de la salle, où se trouvait l’entrée blindée d’un couloir. El avait été ouverte sans violence. Son intérieur noir comme l’Abysse piégea le regard doré de Burrhus. Pendant quelques instants, el fut absorbé. 

— Qu’AZ ait pitié de moi. 

Le grand séraphin entra dans le couloir sombre. El arriva dans une grande salle hexagonale, bordée de treize sièges enfoncés dans le sol. Les vestiges de machines cristallines remplissaient le lieu. Au plafond, un dôme de cristal dominait l’endroit, mais Burrhus refusa de le contempler. El s’approcha du siège principal, le plus grand. El appuya sa paume contre sa surface de cristal noir, ferma les yeux.

Son visage apparut, son long visage doré et ses cheveux de feu cascadants. El reconnut même ses pommettes, et la couleur marine de ses iris. 

Brusquement, Burrhus recula et brandit son trident enflammé. El le retourna et dans un choc abyssal, le planta dans le sol de cristal noir. El projeta son halo de flammes dessus. Dans le cristal, le sable doré qui coulait un peu des étages supérieurs entra dans les interstices minuscules laissés par les vibrations de l’espace-temps. Et Burrhus lu leurs secrets. 

La première chose qu’el vit fut le massacre. Repoussant les images, el entendit des cris, millénaires, anciens, récents. Leurs vibrations avaient marqué le cristal comme des grains de sable érodant petit à petit le minéral. Dans sa recherche, Burrhus étudia les visages tordus d’horreur, les jets de sang doré, les membres de cristal brisés. El ne vit que les choses qu’el savait déjà, rien des secrets de la treizième. Elle s’était protégée, même ici, dans son refuge. Alors Burrhus observa le passage du temps dans cette tombe ancienne, accéléra jusqu’à la fin, pour contempler son nouvel échec. Mais, arrivé aux derniers jours, el ne vit…rien. Pas de traces de l’avatar du guerrier. 

— El n’est pas descendu jusqu’ici, comprit Burrhus, le souffle coupé. 

Le séraphin fit alors remonter sa conscience des entrailles des monolithes pour revenir plus près de la surface. Là, dans les larges couloirs souterrains, el écouta de nouveau les échos du passé. Cette fois, une silhouette lumineuse se dessina devant lui, projetant sa voix dans le tissu de l’espace-temps :

☿ — Par ici !

C’était un éloha, doté de deux paires d’ailes et d’un halo d’argent. Une vertu de toute évidence. Mais rien chez el ne semblait faire sens. Au lieu de porter sur sa tête la lumière froide de Sandalphon, dérivée de celle du Porteur de Lumière lui-même, son halo brillait du mauve du Grand Architecte. Son intensité ne pouvait appartenir qu’à un éloha de deuxième génération. La trace du Porteur de Lumière se retrouvait bien cependant, mais uniquement dans sa gorge, qui pulsait d'un feu couvé dès qu’el parlait.

☿ — Suivez-moi !

Burrhus revint au présent, le regard hanté. Ses lèvres soufflèrent un nom ancien :

— Phosphoros. El est dans sa voix…

Comme Miel l’avait affirmé, Phosphoros, l’avatar du guerrier, premier aspect du Porteur de Lumière, était bien passé là, à quelques unités temporelles de lui. Et par AZ, el était incarné dans nul-autre qu’un Fitzarch. Comment avait-el pu le rater tout ce temps ? Mais de même, par quel coup du sort avait-el pu se trouver là, à un tel moment, pour ainsi être révélé à lui ?

[Séraphin] Burrhus : El n’est pas descendu.

En effet…

[Séraphin] Burrhus : Alors pourquoi est-el venu ?

Pour obtenir ce que nous-mêmes cherchions. Mais el n’a pas eu le temps de descendre à cause de l’arrivée de Nukvah.

[Séraphin] Burrhus : Mais les noyaux ont tout de même été arrachés.

Nos informations étaient peut-être fausses, ou périmées… Continue d’explorer…

[Séraphin] Burrhus : Silence ! Je n’ai plus le temps pour ça ! L’avatar du guerrier est de retour parmi les élohim ! Prie pour que je l’arrête, azoha, ou tu finiras comme tes sœurs pendues là !

Le séraphin retira son trident du sol cristallin et quitta bien vite la salle hexagonale, soufflant doucement pour calmer les flammes de son halo. El entendit les claquements d’ailes de ses soldats puissances non loin. La salle-tombe avait été vidée. Comme el l’avait ordonné, seuls les corps des azohim n’avaient pas été emmenés. 

— Enterrez les sous les dalles, ordonna Burrhus à ses soldats. 

Ces derniers échangèrent des regards incrédules, mais finirent par obéir. Burrhus décida de remonter. Près de la sortie des monolithes, el vit d’autres soldats ramasser les yeux de Nakirée. Soucieux de n’en oublier aucun, els explorèrent longtemps les moindres recoins de la zone. 

— Sert moi dans la mort, chérubin, grommela Burrhus. 

Le séraphin pencha son énorme stature et saisit un œil. El le pressa un peu entre ses énormes doigts. Leurs extrémités s’ouvrirent pour exposer sa chair, ses nerfs, qui se lièrent au petit organe. C’est là qu’el vit ses traits dans le détail.

— Montre-toi, avatar du feu…

Son teint était hâlé, son visage encore un peu poupin et ses cheveux, longs et noirs. Mais ce furent ses yeux bleus, très perçants, qui lui confirmèrent la révélation. El était de retour, derrière un masque bien choisi. Les yeux de Burrhus s’embuèrent, alors qu’el quittait le monolithe. La lumière de Nukvah tomba sur lui. Sa silhouette fut engloutie et sa forme serpentine jaillit. El s'envola, prêt à voler vers les confins du cosmos de Malkouth pour rejoindre celui de Hod.

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