Le Cycle des Cieux, Tome 2 : Le Fitzarch pénitent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 13

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Vilanel se laissa tomber sur son fauteuil de cuir rouge. El poussa un soupir épuisé, étira ses bras nus, couverts de brûlures et grimaça.

— Aie, aie, aie...

Doucement, el les posa sur les accoudoirs rembourrés du siège. Le fauteuil, fait de velours rouge, se mit à grouiller d’un son dégoûtant. Des petites bosses mouvantes apparurent sous sa surface. Elles grossirent et pop ! pop ! pop ! finirent par éclater. Des sangsues en émergèrent alors. Vilanel sourit. Les petites créatures grimpèrent sur ses membres et mordirent sa peau blafarde pour sucer le sang doré de la domination. Un son gluant résonna dans la grande pièce vide et sombre.

— Ahhh...

Vilanel s'était installé dans un étage désaffecté d'un building de mercure et de verre, qui appartenait à une chorale de principautés. En permanence sous l'influence de psychotropes, ces derniers ne gardaient dans leurs locaux qu'une sécurité minimale. Tout un chacun pouvait donc s'inviter et passer quelques jours dans leur nid, surtout dans les étages qu'els n'avaient pas encore transformé en rave party. Celui-là était totalement vide. Pas de meubles ni mêmes de murs. Son accès au puits central du building était condamné et seuls quelques ascenseurs permettaient d'y accéder. 

Ce chérubin m’a donné de bonnes informations, pensa Vilanel.

Apaisé, la domination calma sa respiration. Une vertu vint passer sur son visage un gant de toilette bien frais. Puis el retira le capuchon de son maître, à moitié carbonisé, pour soigner son scalp abîmé. La vertu tissa une thaumaturgie guérisseuse. Puis ce fut une principauté qui prit le relais pour brosser les cheveux noirs de Vilanel. 

— Voulez-vous que je vous coule un bain maître ? Je peux vous invoquer une baignoire en quelques secondes.

— Non merci. Je retrouverai le Sang d’Adam bien assez tôt.

A travers une baie vitrée, Vilanel plongea son regard sur l'avenue en contrebas. Michaël avançait, encore et toujours, dans sa marche pénitente. 

— Vous êtes sûr ? On dirait que cette comédie n'en finira jamais, commenta la principauté. 

— Je m'en suis lassé il y a bien longtemps, soupira Vilanel.

Ses yeux se perdirent quelques secondes dans le vague. Ils suivirent les têtes enflammées des séraphins qui défilaient en bas, les mouvements des puissances et de leurs halos de métal. El sonda leurs lumières, leurs scintillements et variations. Son étude dura plusieurs minutes. Puis el se tourna vers sa gauche. Non loin, une autre principauté et un chérubin manipulaient un large cristal lumineux. 

— El se dirige vers Ostracol, chargez les flux dans cette direction, ordonna Vilanel. 

— Ostracol ? Ce n'est pas le chemin le plus direct vers la Chapelle...

— C'est un quartier séraphique, expliqua Vilanel, le QG d'une de leurs plus grandes chorales. Burrhus espère y trouver un public plus soumis à son autorité. C'est aussi une bonne occasion de brosser l'évêque d’Ostra dans le sens des plumes.

A côté, le chérubin se mit à gémir.

— Maître, Raphaël a officiellement ordonné de couper les flux montrant Guebourah sur le passage du Fitzarch. Si on les pousse quand même, on risque de remonter à nous...

Les yeux de Vilanel s’allumèrent d’une lueur rouge, alors que son visage d’albâtre se figeait. El n'eut même pas besoin de prononcer le moindre mot. Les yeux ahuris, les deux élohim se remirent au travail sur leur gros cristal. A travers leur contrôle, Vilanel s’assura que les images de Guebourah s’affichent sans cesse sur les buildings de verre et de mercure. Le voyage du pénitent approchait sa conclusion et Vilanel s’assurait de faire tourner les évènements en sa faveur. A mesure que Michaël approchait de la chapelle des vertus, la domination vit ses prophéties se réaliser unes par unes.

Pour la première, aucune intervention ne fut nécessaire. Les membres d'Ennead multiplièrent leurs visites sur le chemin du pénitent, leurs émotions conflictuelles bouillonnant dans leurs corps et halos de métal. Els venaient sous leur forme apocalyptiques, soucieuses de dominer la foule du peuple. Trop immatures, els ne surent exprimer que moqueries envers Michaël.

La deuxième prédiction n’eut besoin que d’un léger coup de pouce.  Le peupl’aile, malgré le déploiement de davantage de puissances, vint et revint à l’assaut des images de Guebourah. Leur colère s’étendit. Els étaient maintenant des millions à protester contre les nobl’ailes. Michaël, perçu comme un de ces souverains inaccessibles, se baladait pour la première fois parmi eux. Els ne manqueraient pas l’occasion de faire valoir leur message. 

C’était du jamais vu. 

Au sommet de son sanctuaire de mercure, le prince héritier Raphaël vacillait. El n’osait pas faire arrêter les manifestants, ni faire intervenir l’Ecclésia. Cela ne ferait que nourrir la colère de la foule, ou créer des martyrs. Se rendre à Guebourah serait avouer la faute qui n’était pourtant pas sienne. C’était celle de l’archange-roi de Hod lui-même, Daniel, qui avait ordonné qu’on envoie des peupl’ailes et uniquement des peupl’ailes à Guebourah. Raphaël acceptait le blâme pour protéger son père, laissant les rumeurs se répandre. Là était le prix à payer pour conserver son statut d’héritier.

— La petite vertu est maligne, je pense qu’el a déjà deviné tout cela…

Vilanel se retourna. Les sangsues qui émergeaient de son siège poussèrent des petits cris de protestation lorsque la domination bougea. Cette dernière se leva quand même. El fut pris d’un léger vertige et sourit. C’était bon signe. Son sang doré d’éloha avait été drainé, ne laissant place qu’au Sang d’Adam, bien rouge et épais. La domination s’immobilisa pour retrouver ses esprits. Le corps rongé par l’anémie, son teint était devenu encore plus blafard. Le Sang rouge d’Adam se mit à couler depuis les morsures qui parsemaient ses bras. Cela ne sembla pas le gêner. 

— Réabsorbe ça avant qu’ça finisse par terre, dit le visiteur. 

Vilanel se contenta d'observer le nouvel arrivé, une simple vertu, qui se dressait maintenant entre el et la baie vitrée.

— Nana… Tu n’aurais pas dû venir, râla Vilanel, qui congédia son personnel sans prononcer un seul mot.

— Et pourquoi pas ? sourit Nana, son visage de lutin malicieux tordu par un sourire carnassier.

— Je maîtrise le sujet, le terrain, le….problème…

— Tu “maîtrises” ?! Vraiment ?! Tu as pris de gros risques ! s'exclama Nana. Le “problème” aurait pu te reconnaître et péter une durite. Lécher son sang ? Vraiment ? 

Vilanel leva les yeux au ciel, agacé.

— T’as vraiment fait le trajet de Tiph à ici pour me dire ça ?! grogna-t-el.

— Non, je viens juste t’aider.

— Je n’ai pas besoin d’aide. Je sais intervenir, je sais me cacher.

— Hein ?! On peut parler de la fois où tu t’es tranquillement posé au “lounge”… ? Oh ! Regarde-le !

Une grande lumière orange baigna l’univers. Nana pointa son doigt en contrebas, sur l’avenue noire de monde. Burrhus volait là, nimbé de feu.

— Alala celui-là ! Ça fait des jours qu'el incendie tout le monde, minauda Nana. C’est quoi son plan mmh ? 

— El surveille le Fitzarch, dit Vilanel. El espère avoir soufflé la flamme qui teinte sa voix mais au fond, el sait que c'est impossible. El ne peut que l'observer éclore et...

— Je ne te demande pas ce qu'el fait ! protesta Nana. Je te demande quel est son plan !

Vilanel secoua la tête. Alors Nana osa : 

— Tu sais pas ! Tu sais pas ! Boooouuh ! Dommage, parce que quel que soit son plan, il est sûrement plus solide que le tiens.

C’en fut trop. Vilanel souffla par le nez. D’un seul coup, el attrapa la tête de Nana et le fit basculer en arrière. El le traîna jusqu’à l’ascenseur. Là, el le brandit et enfonça ses portes métalliques, se servant de son corps comme d’un bélier. Il ne fallut qu’un coup pour défoncer les portes de métal et plaquer le crâne de la vertu sur le miroir de l’ascenseur. Le sang de Nana, d’un rouge éclatant, gicla sur son reflet. Vilanel, tenant la vertu par le cou, l’enfonça encore et encore contre le miroir et ses bouts tranchants. Nana glapit. La domination avait beau le pousser, rien ne se passait. 

— Oh mince, finit par minauder faussement Vilanel. J’avais oublié que tu n’es pas de cet acabit, petite vertu. Tu devras utiliser tes ailes pour rentrer à la maison, comme tout le monde.

Nana, le crâne explosé, grimaça et grogna comme un démon enragé. Son regard devint rouge. Ouvrant grand la bouche, el déploya quatre immenses canines.

— Si tu veux te débarrasser de moi, tu devras user de ta voix, éructa-t-el.

— Non, non, fit Vilanel, il me faut juste appuyer là.

La domination pressa le bouton de l’ascenseur, lui ordonnant de descendre au rez-de-chaussée, des centaines de mètres plus bas. Malgré les dégâts, l’engin obéit. Nana disparu dans son gouffre. Vilanel recula, observa l’étage. Les deux élohim qui contrôlaient les panneaux étaient encore à l’œuvre, mais une petite alarme résonnait, indiquant l’arrivée très prochaine des puissances de la sécurité. Vilanel se prit la tête entre les mains en soupirant.

— Oh non… comme je suis bête des fois…

La domination se décala vers un autre ascenseur, dont el pressa encore et encore le bouton. Quand la cabine s’ouvrit enfin, el se précipita dedans et sauta dans le miroir, pour disparaître.

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