Le Cycle des Cieux, Tome 1 : Les Gardiens de Sicad by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 8

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Luisiel observa ses chérubins faire la fête autant qu'els le purent. La musique était assourdissante, les lumières éblouissantes. Les élohim étaient en transe. Mais pour les proches du planétologue, les cœurs n'y étaient pas. Leurs centaines de regards parcouraient nerveusement la foule et la terrasse des command'ailes, presque vide. Ne restaient plus que Luisiel, haut-command'aile des chérubins, Echiel, haut-command'aile des vertus et Joliel, haut-command'aile des principautés. Les trois restaient assis en silence, assommés par le jus de grenade, sans pour autant se laisser désinhiber. 

La fuite du commandement avait commencé il y a trois heures déjà. Le génér'aile Garviel était parti en premier, sans explications. Une question légitime de sécurité avait pensé Luisiel, en cette nuit sans étoiles. Puis Burrhus avait débarqué avec ses ophanim, alors que tous attendaient ceux de Sicad. C'est cet évènement qui semblait avoir provoqué la fuite du reste des command'ailes. Le premier ministre Vélinel s'était éclipsé avec l'interrac Nakirée. Puis Miel avait demandé une audience privée à Pomiel, en compagnie de Burrhus. L'archange avait hésité, cherchant son premier ministre du regard sans le trouver. Mais après une longue discussion avec l'évêque, el avait finit par accepter. El avait ordonné au reste des command'ailes de veiller sur son trône pour ne pas inquiéter la foule. La terrasse s'était vidée un peu plus. Luisiel avait commencé à boire, beaucoup, bien plus que d'habitude. Joliel avait fait de son mieux pour le distraire, el et Echiel. Ce dernier, contraint de rester, préférait jouer aux échecs sur le réseau EL avec ses vertus plutôt que de discuter. Bien vite, Joliel avait entrainé Luisiel sur la piste de danse, aux abords de la terrasse. Expérimenté, Luisiel avait exercé de belles prouesses rythmiques malgré son corps étrange, mi chérubin, mi plante. Joliel quant à el avait exprimé toute sa frustration dans des pas puissants mais nerveux. Tout le monde les regardait, quel étrange couple, quelle étrange nuit. 

Puis, fatigués, els étaient revenus sur la terrasse pour boire. Mille pensées vinrent hanter l'esprit de Luisiel. Le chérubin érudit supportait mal de ne pas voir de ses yeux ce qu'il se passait, de ne pas savoir, pour sûr. 

— Que fais Miel ? demanda Luisiel.

Joliel, la bouche pleine de bonbons, gloussa.

— Je pense que tu le sais.

— Je le sais mais je ne peux le croire. Je ne sens rien dans le réseau... Peut être nous trompons-nous ?

— Moi je me demande ce que fais Vélinel, dit Joliel, pressé de changer de sujet. El a emporté Nakirée comme ça ! Et Garvi ? C'était pas prévu. 

— Peut être se sont els affrontés et...

— Luisiel, l'interrompit Joliel. Sans doute se sont els enfuis. Patientons encore un peu. Miel ou Burrhus vont nous tenir aux nouvelles.

— Cela fait des heures...

— Les choses ne sont pas simples, affirma Joliel.  

— Nous ne savons rien, nous ne faisons que supposer depuis des jours.

— Tant mieux ! sourit Joliel en haussant les épaules. Miel nous a tenu en dehors de ça pour notre propre sécurité. Tu as bien vu comment Vélinel nous a interrogé tout à l'heure. Si nous savions ce qu'il se tramait nous aurions jeté Miel dans ses serres.

— C'est de la folie, soupira Luisiel. Je ne peux le croire...

— EL seul sait. Nous nous faisons peut être des idées depuis le début. Si ça se trouve, Pomiel et le reste du commandement vont revenir frais comme des fleurs sous la rosée, à l'aube. 

— Ou bien Pomiel seul, pour dresser nos têtes sur des piques. 

— Ou bien Miel, seul, pour reprendre ce qui lui revient de droit. 

Luisiel se leva dans un sursaut nerveux.

— Que fais tu ? demanda Joliel. 

— Je vais aller voir ce qu'il se passe.

— Tu ne peux pas ! s'emporta Joliel. Nous devons rester ici pour rassurer le peupl'aile. Si els nous voient partir...

— Rester ici hein ? Pour le bien de qui ? Pomiel ?

— Non ! Pour Miel ! Pendant qu'el fait ce qu'el a à faire !

— Au diable ses plans sournois ! gronda Luisiel. Miel m'a privé de mes ophanim et de ma planète toute la journée. Les étoiles ont disparu et on doit faire la fête. 

— El se salit les mains pour nous !

— Pour nous ? Ha !

Luisiel s'envola à toute vitesse, sans laisser le temps à Joliel de répondre. El scanna le réseau EL à la recherche du halo violet et massif de Pomiel. Mais il était introuvable. A la place, au sommet du Sanctuaire, se trouvait celui de Miel, beaucoup plus petit, scintillant et enjoué. Luisiel monta le rejoindre dans la salle du trône d'améthyste de Pomiel. El trouva Miel seul, installé sur le trône de l'archange. El ne remarqua pas l'arrivée de son ami, trop occupé à contempler une petite boule de cristal nichée au creux de sa paume. 

— Miel ? appela Luisiel. Que se passe-t-il ?

L'ange leva le regard, le visage éclairé par la joie. 

— Oh Luisiel ! Tout va bien. J'ai une bonne nouvelle : Sicad est à moi !

— Où est Pomiel ? demanda le chérubin en levant les bras. 

— Pomiel n'est plus parmi nous.

Les bras de Luisiel retombèrent. Un frémissement parcouru tout son corps, faisant bruisser les feuilles qui décoraient son corps chimérique. 

— Ma joute contre lui a été longue et difficile mais... Regarde ! Je suis intact !  montra Miel en s'agitant sur son trône. El est parti ! Parti ! 

Luisiel resta silencieux un instant.

— Que s'est-il passé exactement... mon roi ?

Miel sourit, extatique.

— Ne te prends pas la tête Luisiel. Ce qui est passé est passé. A présent, tout va bien. Je suis de retour sur le trône. Nous allons laisser les élohim faire la fête et à l'aube, els verront que les étoiles sont revenues. Je leur expliquerait que Pomiel a abdiqué en ma faveur et les choses reviendront à la normale, mais mieux qu'avant. Finit l'archange parachuté et déconnecté de nos préoccupations de gardiens. Une nouvelle ère commence, une ère de justice, de prospérité. 

— Que dois-je faire ? demanda Luisiel, affichant sa confusion dans ses regards fiévreux. 

— Célébrer ! Pour la gloire de Chang'el !

— Je dois t'avouer que je suis épuisé Miel. La journée a été terrible pour moi et mes troupes...

— Naturellement, souffla Miel, attendrit. Je suis désolé de t'avoir laissé de coté Luisiel je... Je voulais te garder en sécurité, toi et Joliel, en vous gardant en dehors de mon plan. 

— Je le sais, affirma Luisiel. Je comprends. Je t'en sais gré. Tu as porté seul un lourd fardeau. Mais tu as choisi de le porter avec un étranger plutôt qu'avec nous ?

— J'ai laissé Burrhus m'aider plutôt que vous en effet, confirma Miel. Mais je n'ai cure de son destin alors que je tiens à vous plus que tout. Tu dois imaginer les risques que nous avons prit. Nakirée en a payé le prix. 

— Comment ça ?

— Vélinel l'a interrogé après l'arrivée des ophanim à la fête. Mais c'était bien pire que ce qu'el t'a fait subir tout à l'heure. Là el l'a violenté, torturé, lui et son fils. Heureusement nous avons pu l'arrêter et neutraliser cette maudite domination. A présent, Nakirée est dans un coma. 

— Par EL... El va s'en sortir ?

— Oui. Tout ira bien.

— Miel, Nakirée est un interrac. Les interracs sont ceux qui ont collaboré avec Padmilia pour placer Pomiel sur le trône à ta place. El risque de ne pas apprécier ton...retour au pouvoir.

— Nakirée m'aime, affirma Miel. Je lui ferai comprendre que mon retour n'est que justice, la volonté d'EL. El finira par l'accepter. El quittera sa maudite chorale pour rejoindre la notre et vous pourrez partager vos savoirs sans crainte. El te sera utile, tu verras. A présent, va te reposer, ordonna Miel. L'aube astronomique approche. Je vais lui rendre visite et ensuite, je préparerai mon discours au peupl'aile. 



Luisiel déboula dans son grand laboratoire la tête la première. L'endroit, vide, était plongé dans la lumière froide des écrans qui surplombaient les systèmes de cristal. Ces derniers monitoraient des données en temps réel sur la santé écologique Sicad. Des stations de travail modulaires, aussi faites de cristal doré, étaient dispersées à travers la large pièce, équipées de microscopes avancés, de systèmes d'analyse atmosphérique, et de simulateurs d'écosystèmes. Un mur entier du vaste domaine était dédié à une carte interactive de Sicad, où des zones spécifiques pouvaient être agrandies pour révéler des détails sur la biodiversité, l'activité sismique, et les changements climatiques. Luisiel survola l'endroit avec empressement, y laissant quelques plumes détachées de sa peau par l'anxiété. El se rendit dans un laboratoire qui jouxtait un entrepôt immense. A l'intérieur, des plantes, des animaux et des échantillons de biomes de différents environnements de la planète étaient soigneusement entretenus dans d'innombrables jardins, permettant une étude et une observation constantes, mais aussi leur conservation. L'histoire de la vie sur Sicad, longue de plusieurs milliards d'années solaires, était préservée ici, dans le Sanctuaire, l'endroit le plus sûr de la planète. Le trésor de Luisiel.

Le planétologue s'enfonça dans son entrepôt, passant ses centaines de regards soucieux sur chaque être conservé ici. La nature dormait, à l'exception de quelques créatures nocturnes. Luisiel prit soin de ne pas les déranger. El vola furtivement dans un coin de l'entrepôt et ouvrit un petit boitier. A l'intérieur, un ensemble de commandes cristallines attendaient un signal. Au premier toucher du planétologue, elles activeraient le protocole de conservation d'urgence. L'objectif : enfoncer l'entrepôt profondément dans la croute de Sicad pour protéger sa biodiversité en cas d'attaque des démons. Luisiel descendrait, seul, avec son œuvre, s'enfermant dans cette tombe remplie de vie pour des milliers d'années s'il le fallait. Tout ce temps, el entretiendrait les écosystèmes miniatures pour pouvoir les reproduire à la remontée. Ce procédé avait sauvé Sicad lors des cinq titanomachies. Par cinq fois en effet, la Création avait été attaquée par des hordes titanesques aussi énormes qu'invincibles. Cinq fois, Luisiel était plongé sous la terre puis était remonté parfois des siècles plus tard pour tout reconstruire. Ce système conçu par l'Institut résisterait même à une Shekkinah, pensait Luisiel. 

Mais que faire quand le danger venait de l'intérieur ?

Luisiel sentit un objet froid presser contre sa tempe. El s'immobilisa. Lui dont le corps était parsemé d'yeux, comment avait-el pu ne pas le voir venir ? Trop tard, Vélinel était là, le maintenant en joue avec un énorme blaster portatif. 

— Bouge d'un iota et ta tête explose, grogna le Premier Ministre Vélinel. 

Luisiel aurait pu facilement le désarmer, s'el n'était pas ici, dans l'entrepôt de conservation. Si Vélinel tirait, l'endroit serait ravagé. Le blaster n'était pas une simple arme luminique. Il était fait pour découper des hordes entières. Alors Luisiel ne bougea pas d'un iota. De ses centaines de regards, el observa Vélinel. La domination saignait abondamment, d'un sang rouge contre nature au sang doré des élohim. Le liquide à l'odeur ferreuse imbibait ses vêtements bruns. 

— Que veux tu Vélinel ? demanda Luisiel. Que s'est-il passé ? Tu n'as pas réussit à défendre ton archange ? 

— Je suis arrivé trop tard. L'imbécile a quitté l'arène malgré mon interdiction et Burrhus m'a prit par surprise. 

— Tes visions ne l'ont pas prédit ? ironisa Luisiel, toujours immobile. 

— J'en rien à faire de Pomiel ! gronda Vélinel. Je ne gaspillerai jamais mes visions à son sujet. 

— Nous devons enterrer l'entrepôt, dit alors Luisiel. 

— Tu vas rien enterrer du tout.

— Il faut protéger Sicad !

— J'en ai rien à faire de Sicad !

— Burrhus va venir finir le travail, avertit Luisiel. Si on s'enterre toi et moi, nous serons épargnés.

— J'en ai rien à faire non plus !

— Ya t'il quelque chose dont tu t'importe ? Pour qui travailles-tu ? Padmilia ?

— Non plus, grogna Vélinel dans un hoquet de douleur. Les chamailles d'archanges, je m'en fou aussi. Mes buts dépassent largement ta compréhension.

— Que veux tu, domination ?

— Rhéa est tombée, la horde arrive. 

Luisiel frémit. 

— Raison de plus pour nous enterrer ! éructa-t-el. 

— Non ! Kémirée ? Où est ton command'aile des télécoms ?

El a disparu. Je ne comprends pas. Miel a dit que tout reviendrait à la normale après cette nuit !

Miel a perdu la boule stupide chérubin !  C'est Burrhus qui...

Un choc résonna alors à travers les murs de l'entrepôt. 

Que veux-tu Vélinel ? redemanda Luisiel. 

L'accès aux blasters atomiques ! Maintenant !

C'est toi qui a perdu la boule ! accusa Luisiel. Dans mon domaine, seul Kémirée y a accès. C'était une condition de ton stupide archange pour que je reste en poste. Seul un de ses interrac pouvait maitriser l'accès aux atomiques, el et Garviel.

Garviel est mort, affirma Vélinel. Kémirée aussi, sans doute, je le vois maintenant. Mais toi, toi je sais que tu mens. Je sais que tu as accès aux atomiques.

Non ! Sinon j'en serai pas là ! Et peu importe ! Burrhus a surement mit ses mains écailleuses dessus sinon Miel ne serait pas si goguenard !

Un nouveau choc retentit. Cette fois bien plus fort. Vélinel baissa enfin son arme pour tomber à genoux. Luisiel tissa une thaumaturgie médicale qu'el projeta sur le Premier Ministre. 

Qu'es-tu ? Une vertu médecin ? demanda Vélinel, surprit par le geste du chérubin. 

Je suis un débrouillard ! 

La domination braqua son arme dans l'obscurité. Une ombre massive venait de se glisser dans l'entrepôt. 

— Ne tire pas ! s'écria Luisiel. Non !

Trop tard. Le blaster cracha un énorme rayon de lumière. L'explosion balaya l'entrepôt. Mais Burrhus esquiva. Le séraphin se transforma dans la pénombre pour devenir un grand serpent noir ailé. Sa gueule pleine de crocs couva un feu dévastateur. 

— Stop ! s'écria Luisiel. Si vous devez vous battre faites le dehors ! Préservez donc les âmes de notre Créateur de votre hérésie !

— Traitre... grommela Burrhus. Miel m'affirmait que tu serai dans notre camp...

— Abomination ! hurla Vélinel en tirant de nouveau. 

Burrhus éclata d'un rire guttural et assaillit la domination.

— Miel ! appela Luisiel dans le réseau EL. Miel ! Au secours ! 

Mais le chérubin ne reçut pas de réponse. Vélinel fuit. Burrhus rugit si fort que les murs de l'entrepôt, pourtant faits pour résister à un forage, tremblèrent. Le séraphin cracha des flammes destructrices en direction de Luisiel. Ces flammes, d'une chaleur insoutenable même pour le chérubin, embrasèrent les jardins, plantes et animaux, les transformant en torches vivantes. Luisiel se transforma à son tour pour s'embraser de sa forme apocalyptique. Son corps s'étendit sur des dizaines de mètres à la ronde, se fondant dans la végétation pour en prendre le contrôle. Des lianes innombrables émergèrent du sol, se tordant et s'étirant pour tenter d'emprisonner Burrhus dans leur étreinte. Les flammes du séraphin léchèrent les lianes, mais ne purent les consumer entièrement, le propre feu bleu du chérubin les protégeant. 

Burrhus battit des ailes avec force. El mobilisa tout son poids pour plonger à une vitesse vertigineuse vers le sol pour écraser son adversaire. Un choc assourdissant accompagna son plaquage, mais le séraphin ne s'interrompit pas. El utilisa sa queue écailleuse comme un fouet, brisant machines de cristal qui parsemaient les jardins ou les englobaient. Les dômes brisés déversèrent d'innombrables éclats qui tombèrent comme une pluie mortelle sur les lianes de Luisiel, les coupant. 

Les plantes, sous le contrôle de l'ange, ripostèrent Des épines acérées jaillirent du sol, tentant de percer les écailles du serpent géant. Des fleurs carnivores s'ouvrirent soudainement, dégageant un parfum enivrant, cherchant à endormir la bête abominable. Mais Burrhus, d'un nouveau rugissement, cracha une boule de feu concentrée qui explosa en une conflagration dévastatrice, incinérant tout sur son passage. Le feu bleu de Luisiel ne put y résister. D'un autre jet de flammes si intense qu'il ne laissa aucune échappatoire, el consuma les dernières défenses végétales de Luisiel.

Le chérubin, dans un dernier effort désespéré, tenta de conjurer une tempête pour éteindre les flammes, mais il était trop tard. Les flammes l'englobèrent, et avec un cri d'agonie qui résonna dans le jardin en ruines, el s'effondra, vaincu. De l'héritage de Sicad ne resta plus que des cendres. 

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