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Épisode 01 : Dans les forêts keltes

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Épisode 01 : Dans les forêts keltes

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Chapitre 1

La forêt kelte est profonde, sombre, impénétrable. Entre les chênes centenaires, qui dressent leurs troncs noirs comme des piliers magistraux, se trouve un tapis de ronces et de broussailles qui interdit aux explorateurs de la parcourir sans un équipement adéquat et une bonne dose de courage.

Mais du courage, Walcaud n’en manquait pas. Avant de partir, cet aventurier de vingt-cinq ans avait pris soin de s’équiper d’une armure cloutée, d’une cape, de faire reforger sa dague et sa rapière, et de se procurer de solides bottes qui lui remontaient jusque sous les genoux.

Acheter des chaussures neuves juste avant pareille expédition n’était pas la meilleure des idées : il s’était rapidement retrouvé en plein milieu des bois avec des ampoules aux pieds et le besoin pressant de prendre une pause. Vous l’aurez compris, Walcaud n’était pas le plus futé des humains.

Fort heureusement pour notre ami, au détour d’un ruisseau, il était tombé sur quelque chose de totalement inattendu : au milieu d’une clairière se dressait une cabane en bois qui servait d’auberge, ainsi qu’un entrepôt, et une échoppe à l’air libre. Le tout était défendu par une palissade sommaire.

Walcaud ne rêvait pas, un avant-poste ! Dans cette forêt sauvage, quelqu’un avait été assez fou pour installer un avant-poste ! Il y entra en sautillant de joie, et comme il avait toujours mal aux pieds, il chuta en passant l’entrée. Mais au point où il en était, un peu plus de ridicule n’allait pas le tuer : il fit comme si de rien n’était, s’attabla devant l’échoppe et commanda une tasse de chouchen, un alcool local préparé à partir de moût de pomme, de miel et de levure.

C’est après avoir descendu son rince-gosier d’une traite qu’il engagea la conversation avec la serveuse.

« Et donc… Silyen, c’est ça ? Alors comme ça t’es une… une sirène ? »

Question stupide s’il en est. La jeune femme qui se tenait devant lui était on ne peut plus sirène, en tout cas selon les standards de ce monde fantastique : outre la couleur azur que ses longs cheveux et sa peau arboraient, les écailles arc-en-ciel qui lui couvraient les hanches, les épaules et les avant-bras, elle avait quatre tentacules plantés dans le dos, et elle utilisait ces appendices comme membres auxiliaires. Quand elle ouvrait la bouche, on pouvait y voir briller des dents pointues, recourbées vers l’arrière.

« Oui, une sirène ! répondit l’intéressée avec un grand sourire.– Tout ce truc… c’est un vrai avant-poste ? Pas un traquenard ? Tu ne vas pas me sauter dessus dès que j’aurais le dos tourné ?

– Pas d’inquiétude, c’est une de nos stations, nous voulons juste commercer ! Notre matriarche nous a même interdit d’attaquer les humains, les elfes et les hommes-bêtes ! Sauf si c’est eux qui commencent. »

Walcaud avala sa salive sans quitter la sirène des yeux. Bien qu’humanoïdes, elles n’étaient pas considérées comme une race civilisée à cause de leur penchant pour la violence, leur organisation tribale, et leur appétit pour les mâles des autres espèces — la leur en manquait, et elles avaient tendance à en récupérer ailleurs de gré ou de force. Silyen, avec son mètre soixante, était plus petite que lui, mais ses tentacules qui gigotaient dans tous les sens la rendaient tout de même bien menaçante.

« D’ailleurs, les sirènes ne vivent pas dans l’eau normalement ? Qu’est-ce que tu fais là ?

– Il y a un lac juste au nord d’ici où mon clan est établi.

– Je n’étais pas au courant… »

Walcaud fronça les sourcils. Les cartes qu’il avait achetées avant de partir et qu’il avait payées très cher étaient probablement obsolètes. En un mot comme en cent, il s’était fait couillonner par le vieux qui les lui avait vendus.

« Et ton pied, ça va mieux ? demanda-t-elle.

– Bien mieux, merci. »

Silyen l’avait recouvert d’un onguent aux herbes médicinales, apparemment confectionné par les prêtresses de son clan. Le mercenaire avait été plus qu’étonné qu’il soit aussi efficace.

« Sinon, concernant ce panneau… »

Walcaud pointait vers un écriteau en bois qui pendouillait au-dessus de Silyen. Il y était inscrit les diverses commodités que la taverne proposait : le prix d’une tasse de liqueur, le prix d’une chambre à l’auberge, et, et c’est là que l’attention de Walcaud se portait, le prix d’une fille pour la nuit. Ledit prix, d’abord de trois cuivrons, avait été barré pour seulement un cuivron, puis il avait finalement été gribouillé, et une note indiquait que c’était gratuit.

« La fille en question, c’est…

– C’est moi !! Ça t’intéresse ?

– Ahem… non… non merci.

– Pas la peine d’être timide, je mords pas !

– Même sans ça… je crois que je vais m’en passer. »

Silyen poussa un soupir et avança sa lèvre pour montrer qu’elle boudait quelque peu. Les sirènes, comme nous l’avions dit, manquaient de mâles, à tel point qu’elles devaient faire feu de tout bois pour en trouver un et avoir l’espoir de se reproduire ; mais leur apparence physique — écailles, tentacules — était plutôt du genre à repousser les prétendants.

Sur ce dernier point, Walcaud n’était pas sectaire, les bordels de la capitale témoigneront en sa faveur. Mais dans cette situation, il ne se sentait pas d’entreprendre une partie de jambes en l’air avec une sirène au fin fond de cette inquiétante forêt, d’autant plus que ses jambes à lui n’étaient pas en état.

« Dis voir. Tu n’aurais pas des informations sur un nid de gobelin dans le coin ?

– Des gobelins ? Si si, il y a une bande pas loin d’ici. Mon clan voulait s’en débarrasser, mais ils nous ont repoussés… la duchesse nous a promis d’envoyer de l’aide.

– Eh bien, me voilà.

– De quoi ?

– L’aide, c’est moi. La duchesse m’a engagé pour que je me débarrasse de ce nid pour vous.

– C’est toi, l’aide ? »

On pouvait sentir la déception dans sa voix.

« Quoi qu’il en soit, je vais te prendre une chambre, répondit Walcaud vexé.

– C’est vingt-cinq pièces de cuivre.

– Vingt-cinq… c’est énorme ! C’est plus cher qu’à la capitale.

– Si tu dors avec moi, c’est gratuit. »

Silyen se pencha en avant vers l’aventurier. Pour se couvrir, elle ne portait qu’une bande de tissus croisés qui soulignaient des formes plutôt attirantes et qui mettaient en valeur son joli minois — en tout cas selon elle-même.

 « Juste la chambre, merci. », demanda Walcaud en posant sur le comptoir cinq grosses pièces en laiton.

Avec ces nouvelles informations, Walcaud comptait repartir au plus tôt. Pas question de batifoler avec la tenancière, même pour une chambre gratuite.

Ceci étant, il devait bien avouer qu’il faisait froid, dans la forêt kelte… la couchette était sommaire, la paille lui grattait le dos et le sommeil ne venait pas… et puis, Silyen était pas si mal…

Il commençait à regretter de ne pas avoir accepté l’offre plus tôt.

« Si je la réveille maintenant pour lui dire que j’ai changé d’avis, je risque de passer pour un crevard, non ? Merde, j’suis vraiment con… »

Après avoir attendu encore cinq minutes, il se décida enfin à allumer sa torche et à se lever.

« Qui ne tente rien n’a rien… »

Silyen logeait dans une petite maison située juste derrière l’entrepôt. Elle était plutôt sommaire, mais les sirènes, habituées à dormir dans des caves sous-marines, ne demandaient pas mieux.

Le poste avancé était plongé dans une ambiance sordide. La forêt environnante était étrangement calme. Même ces agaçantes chouettes, qui hululaient toujours au cœur de la nuit, se taisaient.

« C’est glauque, cet endroit… »

Une espèce de cri fit sursauter Walcaud.

« Qu’est-ce que c’était ? »

Il se retourna, projetant la lumière de sa torche en direction d’une dizaine d’êtres à la peau verdâtre, aux yeux jaunes et vêtus de vêtements en cuir.

« Des gobelins ! » s’exclama-t-il.

Ils étaient petits, tout juste un mètre cinquante, mais redoutés pour leurs attaques en groupe ; en outre, bien qu’on les appelle volontiers « monstres », ils avaient une apparence très proche des humains et une intelligence qu’il ne fallait pas sous-estimer.

« Merde, ils viennent vers moi ! »

 Walcaud tira sa dague juste à temps, alors que l’un des monstres se jetait sur lui, une arme tranchante à la main.

« Une épée ? Les gobelins n’ont que des gourdins d’habitude ! » s’exclama-t-il alors qu’il repoussait son adversaire d’un grand coup de pied.

Les assaillants se regroupèrent autour de lui. Ils étaient une bonne douzaine, et lui, il avait oublié son arbalète et sa rapière dans sa chambre.

« Me voilà bien… euh… on peut négocier, vous savez ! » dit-il alors qu’il ne pouvait pas reculer plus loin : il avait le dos contre le mur de l’entrepôt.

Les monstres s’approchaient mais ne l’attaquaient pas.

« Humain… pourquoi Humain dans forêt kelte ? Forêt kelte, forêt des Hommes-Renards, pas forêt humaine ! »

Du dialecte kelte. Cette même langue que parlait Silyen et que lui-même baragouinait avec peine. Déjà que notre aventurier avait du mal à tout comprendre quand les locaux s’exprimaient un peu vite, alors un gobelin !

« Merde, qu’est-ce que je lui réponds, à celui-là ? Quelque chose comme je ne suis pas un ennemi… mais je sais plus comment on dit ennemi en kelte ! »

La porte de l’entrepôt s’ouvrit avec fracas, tirant l’aventurier de ses pensées.

Une paire de tentacules lança une grappe de javelots qui allèrent empaler les gobelins.

« Petits monstres… vous allez voir ce qu’il en coûte d’attaquer le clan Mando ! »

Silyen venait de surgir, armée jusqu’aux dents : elle tenait une lame sans garde dans les mains et bombardait ses adversaires de projectiles avec ses tentacules.

Profitant de la confusion, Walcaud jeta sa torche en l’air, ramassa un des pieux, et passa derrière le groupe. Caché par la nuit, discret comme une ombre, il fit tomber quelques têtes avec son arme improvisée.

« Alors, vous faites moins les malins ! » dit-il tout en taillant dans le lard des gobelins.

Leur capitaine ordonna la retraite, et il était temps, car ils n’étaient plus que trois.

« C’est courant, les attaques de gobelins ? demanda Walcaud en essuyant le sang violet qui coulait sur sa pique.

– Non, c’est très rare… et ces armes… répondit Silyen, qui observait les cadavres.

– Du fer… quelqu’un a dû leur en fournir, mais je ne connais personne d’assez idiot pour tous nous condamner en traitant avec les gobelins…

– Ça, c’est encore la faute d’un humain ! déclara Silyen en agitant bras et tentacules.

– C’est… pas impossible. », dit Walcaud qui fronçait les sourcils.

 

Chapitre 2

Louwet serrait une miche de pain contre elle, en essayant de ne pas marcher dans les flaques qui parsemaient la rue principale du village. Ses chaussures étaient éventrées depuis longtemps ; et sa robe de lin était tellement usée qu’on voyait au travers. Du haut de ses dix ans, elle n’avait pas souvenir d’avoir eu d’autres vêtements que ceux-ci.

Un petit caillou lui arriva sur la tempe. Devant elle, un groupe de gamins de son âge la regardait avec dégoût.

« Berk, nous approche pas ! »

Comme dans tous les hameaux du pays kelte, ils étaient de la race des hommes-renards, ou selon l’appellation populaire, des vulpès ; leurs principales caractéristiques étaient une queue touffue et de longues oreilles dressées sur le crâne, le tout recouvert d’une épaisse fourrure souvent rousse, parfois brune, rarement noire. 

Et c’est sur ce point que Louwet n’était pas une vulpès comme les autres : son pelage gris-argent aux reflets brillants ne manquait pas d’attirer les regards, les quolibets et l’inimitié des autres habitants.

« Je suis sûr qu’elle a la peste ! C’est pour ça qu’elle est grise.

– Non, c’est ma couleur naturelle ! répliqua Louwet.

– Personne ne te croit ! Ah, t’approches pas, on t’a dit ! » s’exclama le gamin.

Il saisit un bâton et repoussa Louwet.

« Aïe ! Arrête, ça fait mal !

– Maintenant, barre-toi si tu ne veux pas prendre un autre coup ! Pestiférée ! »

La fillette échappa son pain au sol, le ramassa rapidement et continua son chemin sans se retourner.

Louwet habitait dans une ferme à l’entrée du village, chez une famille qui l’hébergeait à contrecœur. Elle toqua avec appréhension à la porte.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda la fermière en grimaçant devant la miche de pain que rapportait la petite. Elle serrait des dents de colère.

« Je ne peux même pas t’envoyer faire une course sans que tu ruines notre repas du soir ! Tu ne sers à rien !

– C’est pas moi, c’est les enfants au village qui m’ont poussé…

– Bien sûr, c’est la faute des autres ! Empotée comme tu es !

– Mais non, je…

– Tais-toi et arrête de me répondre ! Si les anciens ne nous avaient pas forcés à te garder, ça ferait longtemps que tu serais à la rue ! »

La fermière attrapa Louwet par le bras et la jeta sans ménagement dans le cellier.

« Puisque tu n’es même pas capable d'aller chercher le pain, reste donc enfermée jusqu’à demain matin ! »

Elle claqua la porte avec fracas.

Plongée dans le noir, Louwet rentra sa tête dans ses bras. Seule une petite fenêtre aux volets toujours fermés ne laissait passer qu’une lumière tamisée. Ce n’était pas la première fois qu’elle était enfermée dans cette pièce, elle avait l’habitude.

La nuit, la température descendait en flèche dans le cellier. Même en rentrant ses orteils autant que possible dans ses souliers éventrés et en tirant sur sa robe en lambeaux pour couvrir ses petites jambes, elle était toujours frigorifiée.

 Le pire pour la fillette, c’était peut-être moins le froid que d’entendre la famille de paysans dans la pièce d’à côté se rassembler et parler au coin du feu.

D’ailleurs, il y avait beaucoup plus de bruits que d’habitude. Il devait y avoir une fête au village, ou bien un mariage. Elle monta sur une caisse et colla son oreille de renard sur le volet.

« Des gobelins ! Des gobelins nous attaquent ! » hurla une voix en panique.

« Des… monstres ? » murmura-t-elle.

Louwet se concentra ; elle entendait des cris, des bruits d’armes... C’était bien une attaque ! Elle se recroquevilla en espérant que les gobelins ne viennent pas jusqu’à elle. Ils étaient rentrés dans la maison et fouillaient partout.

« Il y a quelqu’un dans cette pièce. », affirma une voix gutturale.

Deux chocs contre la porte en bois et elle était enfoncée. Louwet recula jusqu’au mur du fond.

Un gobelin au visage ridé s’avança devant elle. Ramassé sur lui-même, il avait la tête couverte par une espèce de chapeau usé à larges bords et s’appuyait sur un bâton pour se déplacer ; c’était un chaman, un des rares monstres capables d’utiliser la magie.

« Une fillette vulpès ? Emmenez-la avec les autres. » dit-il en la pointant.

Il allait pour partir, mais le cristal translucide fiché dans son sceptre se mit à briller.

« Oh, voilà qui est intéressant… »

Son visage se déforma sous un sourire malsain. Il s’approcha de Louwet, lui saisit le menton, tout en agitant son bâton autour d’elle.

« Lâche… Lâche-moi ! » s’exclama-t-elle en se débattant. Un des gobelins la frappa au visage et lui ligota les mains.

Le chaman continuait de l’observer. Le cristal de son bâton brillait plus fort à mesure qu’il l’approchait d’elle. Finalement, il passa ses doigts ratatinés dans la fourrure de Louwet.

« Ces cheveux argentés… ne l’amochez pas plus ! Elle nous servira pour la suite de nos plans ! Mettez-la de côté. » dit le chaman dans sa langue.

Les guerriers gobelins saisirent Louwet par les bras et l’emmenèrent dans une carriole. Pendant qu’elle montait, elle vit le village en feu, pillé, et ses habitants enlevés.

Chapitre 3

Walcaud et Silyen progressaient à marche forcée à travers les fourrés, en direction du cœur de la forêt. Le Soleil était levé. Walcaud, agile, maintenait une cadence marathonienne. Silyen le suivait sans peine : elle utilisait ses tentacules comme des pieds supplémentaires pour se donner de la vitesse.

« Pourquoi tu es aussi précipité ? On aurait dû aller au hameau des Mando. La matriarche a horreur qu’on s’en prenne à ses avant-postes. Elle leur aurait envoyé un raid et on les aurait tous tués ! s’exclama la sirène.

– La situation est un peu différente. Si les gobelins ont des armes en fer et si on connaît l’emplacement de leur cachette, alors on doit aller vérifier au plus vite, avant qu’ils ne déménagent. C’est pour ça qu’on me paye… » répondit le mercenaire.

Silyen ne semblait pas convaincue ; elle regardait Walcaud et fit la moue.

« Si c’était si pressant, je ne vois pas pourquoi tu as pris tous ces machins avec toi ! Ça t’encombre, et tu as pris un temps fou à tous les rassembler !

– Ce n’est pas « des machins », ce sont mes armes ! »

Il ouvrit son sac et montra fièrement son contenu : de la corde coupante pour installer des pièges, des parchemins de sortilège, une dague, des aiguilles empoisonnées, des bombes de fumées…

« D’ailleurs, ça m’étonne que toi, tu ne te sois pas plus préparée ! Regarde, t’es à moitié à poil. »

Il est vrai que les sirènes s’habillaient peu : du tissu bleu agrafé sur le torse pour se cacher la poitrine, un large pagne noué sur les hanches, et c’était tout. Quant à la culotte, elles n’en portaient que si elles en trouvaient — et elles n’en trouvaient pas souvent.

« … et habituellement, ce n’est pas pour me déplaire, mais nous allons nous battre, quand même, et c’est un peu léger. Tu n’as même pas d’armes ! »

Silyen haussa les épaules et se saisit d’un long bâton ; elle en écrasa le bout avec ses mâchoires et le rendit pointu avec ses dents effilées.

« Voilà, dit-elle en recrachant des copeaux. Et si ça ne suffit pas, j’ai toujours mes tentacules. Tu devrais plutôt t’inquiéter pour toi. Si tu perds ton sac à machin, je me demande bien comment tu vas te battre. »

Elle terminait à peine sa phrase qu’un sifflement strident déchira l’air. À deux centimètres de la tempe de la sirène, Walcaud venait d’arrêter une flèche gobeline à main nue.

« Comment t’as fait ça ?! » s’exclama Silyen. Les veines de Walcaud autour de ses yeux étaient gonflées et étincelaient d’une couleur verte.

« Magie. Les elfes ne sont pas les seuls à pouvoir l’utiliser.

– J’ai déjà vu de la magie, mais ça, c’est la première fois !

– C’est parce que j’ai du sang noble. », répondit-il. Il tira son arbalète de son sac et dégomma l’archer sans même le regarder.

« On est encerclé. », déclara-t-il, alors qu’une dizaine de gobelins sortaient de derrière les arbres. Tous étaient équipés d’épées en fer.

« Ils sont nombreux, fit Walcaud.

– Mais on s’y attendait. », répondit Silyen.

Walcaud écrasa une boule fumigène sur le sol avant que ses adversaires n’aient pu s’approcher. Filant comme une ombre, il passa derrière les petits monstres ; d’un coup de dague bien placé, il en égorgea deux, donna un coup de pied à un troisième, récupéra son épée et la lui planta dans le crâne.

Les deux autres qui lui faisaient face décidèrent de fuir, mais ils se firent dégommer par son arbalète. La victoire était totale.

« Alors ? » demanda-t-il en se retournant vers Silyen, fier de lui.

« Hein ? » dit la sirène en desserrant ses dents, recrachant du sang et de la chair qu’elle avait arrachée à une victime. Avec ses tentacules, elle en étranglait quatre autres, leur serrant le cou si fort qu’elle leur avait brisé la nuque.

« Euh, non, rien… »

Silyen lâcha les monstres ; ils s’écrasèrent au sol comme de vieilles poupées de chiffon.

« Tu vas pas avoir beaucoup besoin de moi… » dit Walcaud avec un demi-sourire.

Silyen resta silencieuse, regardant un carquois gobelin.

« Merci pour la flèche de tout à l’heure. Sans toi, je serais déjà morte. »

Walcaud haussa les épaules.

« Disons qu’on fait une bonne équipe. » dit-il avec un sourire. Silyen détourna le regard et continua sa marche.

Chapitre 4

Au fond de sa cellule, Louwet restait silencieuse. Elle avait été enfermée par les gobelins dans cette espèce de renfoncement creusé dans la terre avec une vingtaine d’autres vulpès. De temps en temps, un gardien venait pour emmener quelqu’un ; malgré les cris, les prisonniers étaient trop terrifiés pour oser l’aider.

Pour ne rien changer, elle avait été mise à l’écart ; elle devait rester dans son coin sous peine de prendre un coup.

« C’est elle. », désigna un garde dans la langue des gobelins, que personne d’autre qu’eux ne comprenait.

Le chaman entra dans la cellule et approcha son bâton de la fillette. Le cristal qui l’ornait, encore une fois, se mit à briller. Un large sourire apparu sur son visage.

« Faites-la sortir ! ! » ordonna-t-il.

« Où est-ce que vous m’emmenez ? demanda la fillette paniquée.

– Tu vas nous servir de sacrifice ! » déclara le chaman en la poussant avec son bâton.

Un gros gobelin, bien plus grand que les autres, s’approcha du magicien.

« Ce n’est pas une mauvaise idée de se servir dans les captifs ? Cet humain… notre « allié »… il a dit qu’il voulait qu’on lui envoie toutes les prises intéressantes.

 – C’est pour nous empêcher de gagner en puissance ! Mais cette petite… »

Il tapa son sceptre par terre.

« Tu es un grand gaillard, mais est-ce que tu sais pourquoi ce sceptre est aussi important ?

– Pour jeter des sorts ? C’est comme ça que tu fais.

– Non ! Cette pierre canalise la magie. Avec ça, c’est beaucoup plus facile d’incanter.

– Quel rapport avec la gamine ?

– Pour une raison que j’ignore, elle a l’air de contenir une grande quantité de magie, car la pierre réagit à son contact !

– Hein ? Attends voir ! »

Le guerrier gobelin barra la route au chaman.

«  Je ne comprends pas ton histoire. Je croyais que les thérianthropes ne pouvaient pas lancer de sorts ! Chaman, tu délires, et si tu comptes manigancer pour voler le butin du pillage pour toi tout seul, tu vas prendre mon poing dans la figure !

– Mais non, mais non ! Les hommes-bêtes ne lancent pas de sorts, mais ils ont quand même de la magie en eux, tu verras. Je vais acquérir une puissance inégalée ! Et c’est tout le clan des Skarzh qui en bénéficiera. »

Ils entrèrent dans une très vaste pièce soutenue par des piliers en bois ; un pentacle était dessiné sur un sol en terre battue.

« Ce disque magique me permettra d’extraire l’énergie de la gamine, et la mettre dans mon sceptre. Alors, ni les humains, ni les orcs, ni personne ne sera capable de nous donner des ordres. Je pourrais jeter des sorts à volonté.

– Et tu vas faire ça comment ? demanda le grand gobelin en croisant les bras.

– Avec son sang ! » répondit le chaman en lorgnant sur Louwet.

Chapitre 5

Les gobelins avaient installé leur base au fond des bois, dans une ravine difficile d’accès ; ils se cachaient dans un réseau de grottes qu’ils avaient creusées eux-mêmes, et les entrées étaient protégées par des pièges simples.

« Voilà leur tanière.

– Elle était pas bien défendue. », déclara Silyen en laissant tomber deux gobelins qu’elle avait réduits en bouillie sanguinolente avec ses tentacules.

Walcaud observa l’entrée. À première vue, il s’agissait d’une grotte banale, abritant un clan banal, d’une centaine de gobelins à tout casser.

« Mais un clan banal n’aurait pas des armes en fer… nous allons avancer très prudemment, et nous retirer au moindre danger.

– Ce serait pas plus simple de foncer dans le tas ? demanda Silyen en agitant ses tentacules.

– Et s’ils sont deux cents, trois cents ? Avec des épées, ils nous coinceront à l’intérieur sans problème, et nos têtes finiront sur une pique. »

Walcaud se saisit le cou pour simuler une strangulation. Silyen pencha la tête. Elle ne comprenait pas bien ce que pouvaient représenter trois cents gobelins. À la taverne de l’avant-poste, elle n’avait jamais eu à rendre la monnaie sur un chiffre supérieur à cinquante !

Ils s’enfoncèrent dans la galerie tout en restant sur leurs gardes. Walcaud ouvrait la marche, l’œil alerte ; il avait bu une potion de nyctalopie avant d’entrer et il y voyait comme en plein jour.

« Tu aurais dû en prendre une aussi. Avec cette pénombre… ils pourraient mettre plus de torches, ces petits cons, chuchota-t-il.

– Nos yeux sont faits pour voir sous l’eau vaseuse, alors je me dirige très bien sous une grotte, d’abord ! rétorqua Silyen. En plus, ton truc avait mauvais goût ! 

– C’est pas un sirop ! » dit-il un peu fort.

Il se couvrit la bouche, soupira, et fit signe à Silyen d’avancer en silence.

Pour le moment, pas de pièges, ou alors de si grossiers qu’il n’avait eu aucun mal à les désactiver. Difficile de croire que ces gobelins avaient pu se procurer des armes en fer… Pourtant, il avait remarqué des traces de roues au sol. Ils avaient dû ramener quelque chose d’un pillage ; ce qui voulait dire qu’en plus des armes en fer, quelqu’un leur avait donné des chariots…

Ils entendirent du bruit et se collèrent à une paroi, avant de bifurquer à une intersection et de se mettre à ramper.

« Baisse-toi, ces fenêtres donnent directement sur une salle en contrebas, dit Walcaud en appuyant sur la tête de la sirène.

– C’est pas des fenêtres, y’a pas de vitres. C’est juste des trous dans le mur avec des bâtons, répondit Silyen.

– Tais-toi !! »

Ils avancèrent ainsi quelques mètres, puis Walcaud colla son oreille contre la paroi de boue. Il fit signe à Silyen qu’elle pouvait relever la tête après trois bonnes minutes à écouter.

En contrebas, une large salle creusée dans la roche ; le couloir où ils se trouvaient la desservait par le haut, et devait avoir été utilisé pour accrocher les étendards aux murs.

Les gobelins étaient trois cents au minimum. On voyait, par la large ouverture arrière, passer des prisonniers vulpès, en haillons, le regard vide, être emmenés dans les niveaux inférieurs. Au centre de la pièce, un chaman et son bâton s’agitaient devant un pentacle tracé maladroitement.

« Des armes en fer, des chariots, un surnombre évident, des bannières, et même un chaman… murmura Walcaud. J’en ai assez vu, je rentre chez la duchesse illico presto. Il nous faut l’armée au plus vite. »

Il se retourna pour partir avant de s’arrêter. Il sentait qu’on le retenait par la manche. Il eut un mouvement de panique : il pensait à un gobelin. Mais ce n’était que Silyen, qui pour une raison inconnue ne l’avait pas saisi avec ses tentacules.

« Attends, murmura-t-elle. Regarde. »

Walcaud poussa un soupir et jeta un œil par-dessus le muret de terre. Silyen lui montra que le chaman tirait une fillette vulpès par les cheveux et l’attachait sur un poteau, au centre de la pièce.

Un gros gobelin, un énorme couteau à la main, attendait à côté. Dès qu’elle fut immobilisée, il lui entailla la joue. Un filet de sang rouge coula sur le cristal qui brilla de mille feux.

Le chaman fut pris d’un rire malsain, et tandis qu’il admirait son sceptre chargé à bloc, il ordonnait qu’on égorge la petite.

« Ils vont la tuer. On la laisse là ? demanda Silyen.

– Comme si on pouvait faire quelque chose ! Maintenant qu’on a toutes ces informations, il faut rentrer en vitesse avant qu’ils ne deviennent encore plus puissants.

– Mais c’est toi qui as voulu venir jusque dans leur tanière. On les laisse faire ce qu’ils veulent ?

– C’est malheureux pour ceux qui sont déjà pris, mais on doit faire vite, ou c’est tous les villages du coin qui vont y passer ! »

Silyen ne répondit rien ; elle continua de fixer la petite fille-renard. Walcaud sentit les doigts de la sirène se serrer un peu plus fort sur sa manche.

« Bon… soupira-t-il, je vais tenter un truc. »

Il s’appuya contre le muret, la main dans son sac.

« Retourne à l’entrée. Je te rejoins dès que j’ai récupéré la gamine.

– Tu ne veux pas d’aide ? » demanda Silyen.

Il la regarda, puis jeta un œil en contrebas, où les gobelins grouillaient.

« Si… mais…

– Je vais en bas en broyer un maximum. Occupe-toi de sauver la petite. »

Elle disparut dans le couloir sombre en lui faisant signe que tout irait bien.

Walcaud prit une inspiration et sauta dans la salle tout en jetant des boules fumigènes.

« Qu’est-ce qui se passe ? hurla un gros gobelin.

– Je ne sais pas, mais si je trouve celui qui a fait ça, je vais l’étriper ! s’écria un guerrier.

– Nous sommes attaqués, abrutis ! Fermez les entrées de la tanière ! » ordonna le chaman qui agitait ses bras pour faire partir la fumée.

Des cris parvinrent de la porte ; Silyen était déjà à l’œuvre.

Le chaman, décidé à fuir, tira sur la corde de Louwet. Mais il n’y avait plus rien au bout.

« La vulpès ! La vulpès s’est échappée ! »

Il poussa un cri rauque. La fillette n’avait pas disparu, il pouvait la sentir. Elle était encore dans la pièce.

« Maudite fumée ! »

Son bâton brandi au-dessus de sa tête, il articula une phrase en vieux galate ; on avait l’impression que sa mâchoire allait se décrocher. Le cristal du sceptre chargé d’une lumière verdâtre déclencha une bourrasque à travers la salle, dispersant la fumée.

Walcaud, Louwet sous le bras, se trouvait encore loin de la sortie et de Silyen.

« Qu’est-ce que… humain ! Un humain ! » s’écria le guerrier gobelin. Il se saisit d’une épée aussi grande que lui et s’élança contre le mercenaire.

« Je vais te trancher en deux !

– Attends, idiot, tu vas couper la Vulpès avec ! »

Le chaman poussa le guerrier du coude et incanta un nouveau sort. Avec son sceptre chargé à bloc, il voulait surtout tester ses pouvoirs.

« Meurs, intrus ! Goûte à ma nouvelle puissance ! » hurla-t-il en langue gobeline, alors qu’il éjectait deux lames de vents.

Walcaud se recroquevilla sur Louwet. La fillette tremblait.

« Ne t’inquiète pas. »

Elle ferma les yeux, prête à être tranchée en deux. Quand elle les rouvrit, elle put constater que les deux lames s’étaient écrasées contre un bouclier translucide.

« Un… un magicien humain ! » s’exclama le chaman.

De colère, il agita son bâton dans leur direction, les bombardant de lames de vents ; mais la protection de Walcaud résistait.

« Impossible… impossible ! Seuls les nobles humains ont cette puissance, hurla le chaman.

– Comment nous a-t-il trouvés ? Notre allié nous a trahis ? », s’exclama le guerrier gobelin.

Le chaman continua d’attaquer.

« Crève !

– Encore… un peu… » murmura le mercenaire.

Walcaud était à bout. De profonds cernes se creusaient sous ses yeux ; il devenait livide. Son bouclier commençait à disparaitre, et la prochaine attaque allait le traverser.

Il sentit les petites mains de Louwet serrer sa tunique ; il la regarda dans les yeux. Ils étaient orangés sur l’extérieur, puis de plus en plus foncés. 

Quelques mèches de ses cheveux gris-argent lui retombaient sur le visage ; Walcaud les lui écarta d’un revers de la main.

« Héhé, on a bien fait de te sauver, tu es toute mignonne… mais on dirait que ça va mal finir pour nous trois. »

Du pouce, il essuya le sang de Louwet qui lui coulait sur la joue.

Aussitôt, il sentit une énergie nouvelle lui parcourir le corps. Son bouclier reprit forme, et toutes les attaques du sorcier vinrent s’y écraser.

Ce fut le répit suffisant pour que Silyen bondisse jusqu’à eux, les saisisse avec ses tentacules, et puisse se replier en bon ordre.

Les autres monstres avaient plutôt été passifs. Il faut dire que les attaques de leur chef étaient si puissantes qu’elles faisaient trembler la pièce ; s’ils s’y approchaient d’un peu trop près, ils seraient transformés en viande hachée.

« Mais… poursuivez-les ! Tuez-les ! » hurla le chaman, que la colère et l’épuisement avaient rendu encore plus hideux qu’il ne l’était déjà.

À l’extérieur de la tanière des gobelins, Silyen courut à toute vitesse ; puis plongea dans une rivière. Dans son élément, elle était encore plus rapide ; elle nagea aussi loin que possible, portant toujours Louwet et Walcaud à bout de tentacule.

Quand elle s’arrêta, plusieurs heures plus tard, elle était exténuée. Son corps était à bout, elle ne pouvait plus bouger un seul muscle.

« Bon travail, fit Walcaud en la tirant sur une berge. Les gobelins ne nous poursuivront pas jusqu’ici. »

Silyen agita un tentacule pour signifier qu’elle était contente, puis elle reposa sa tête, complètement épuisée.

Walcaud fit quelques mouvements de bras pour s’égoutter. C’était passé, selon Walcaud, au poil de fion, mais c’était passé.

« Bien. Et maintenant… », dit-il en se retournant.

Louwet restait recroquevillée sur elle-même. La fourrure de sa queue retenait l’eau, et ses habits en lambeau ne la protégeaient pas du froid. Walcaud lui posa une couverture sur le dos ; c’était un ustensile d’urgence qu’il conservait dans son gros sac.

« Ça va ? Ta blessure te fait mal ?

– Non… ça va. » répondit la petite fille.

Le regard fuyant, il s’assit à côté d’elle.

« Tu viens de quel village ?

– Grae.

– Je vois… les gobelins vous ont attaqués. »

Il marqua une pause avant de reprendre.

« Je… ne pense pas qu’on puisse récupérer tes parents tout de suite. Mais, quand la duchesse sera au courant, elle enverra des troupes, et peut-être qu’on pourra les sauver.

– J’ai pas de parents. »

Elle avait presque coupé Walcaud.

« Il y a bien quelqu’un qui t’attend, non ? »

Louwet se recroquevilla encore un peu plus et fit non de la tête. Walcaud poussa un soupir.

« C’est à cause de tes cheveux ? »

Silyen, en bonne sirène robuste, s’était déjà relevée ; après avoir aidé la fillette à se sécher, elle lui passa les doigts dans les cheveux.

« C’est si rare que ça, les cheveux gris ?

– Les cheveux gris, non, mais les cheveux gris aux reflets d’argent… On dit que ceux qui les portent sont particuliers ; les Keltes les pensent maudits.

– Qu’est-ce qu’on va faire ? La ramener dans un village ? » demanda Silyen.

Walcaud croisa les bras puis regarda Louwet. La fillette était chétive, et elle avait l’air usée par ce qu’elle avait vécu : il voyait dans ses pupilles orangées qu’elle était pendue à sa décision. Et vu la situation, aucun autre village ne l’accepterait.

« Elle va venir avec moi chez la duchesse. Peut-être que là-bas, ils lui trouveront une place. Ça te va ?

– Ou… oui. », répondit la petite.

Cette décision semblait aussi contenter Silyen.

« Je m’en occupe, tu peux rentrer à l’avant-poste, confia Walcaud à Silyen.

– Non, je vous accompagne ! De toute façon, moi aussi je dois rentrer à Savara. Et puis, je ne peux pas laisser une petite fille seule avec un type louche.

– Parce que je suis plus louche qu’une sirène ? »

Silyen fit un large sourire à Louwet, mais elle ne réagit pas.

« Puisque nous nous en sommes tiré, je propose de faire une halte pour la nuit. Nous partirons pour la capitale demain, s’exclama Walcaud, qui voulait changer de conversation.

– On va dormir dehors ? » demanda Silyen, moins inquiète pour elle-même que pour Louwet.

Un petit sourire narquois apparu sur le visage de Walcaud.

« Tu te souviens, quand tu te plaignais que mon « sac à machin » était trop lourd ? » Il en tira une grande toile et deux piquets.

« Voilà une tente ! Une toute belle, faite pour l’armée mérovienne. Elle résiste aux tempêtes, mais aussi au feu et à…

– Très bien, je te laisse la monter et je m’occupe de trouver à manger. », coupa Silyen.

Elle sauta dans la rivière à la recherche de poissons. Walcaud commença à installer sa tente tout en bougonnant.

« C’est une super tente pourtant… pourquoi elle est pas plus intéressée ? » marmonna-t-il.

Il chercha sa dague. Il utilisait la garde comme un maillet. Louwet la lui apporta, et l’aida à maintenir les sardines en place.

« Ah, merci. Tu vas voir, ce sera très confortable quand elle sera installée !

– C’est loin, Savara ? demanda Louwet.

– À deux jours de marche, environ. Tu verras, la duchesse est super sympa. »

La tente était installée. Louwet la regarda sous tous les angles : c’était une longue bâche en cuir imperméabilisée, aux bords renforcés par des coutures. À l’intérieur, le sol était couvert par un fin tapis en laine à maille serrée.

« On va s’occuper du feu, maintenant. », déclara Walcaud. Après avoir amassé du petit bois, il claqua des doigts et des étincelles vertes jaillirent.

« De la magie ! s’exclama Louwet.

– Ah, c’est vrai que les thérianthropes n’en utilisent jamais. C’est la première fois que tu en vois ? »

Il se redressa, bomba le torse, et continua, tout fier :

« C’est un sort basique. Mais je peux faire beaucoup d’autres choses ! Ça t’intéresse ? »

Il regarda Louwet du coin de l’œil ; il espérait qu’elle n’était pas partie. Mais la fillette, qui hochait la tête, semblait désireuse d’en voir plus. Sa queue de renard remuait dans tous les sens.

« Je… je veux bien. », murmura-t-elle.

Commençant par une incantation en ancien galate, Walcaud lui prit les mains. Une petite boule verte et phosphorescente sortit du creux de sa paume ; cette dernière amplifia, diminua, puis deux ailes s’en détachèrent ; à l’image d’un insecte sortant de sa chrysalide, un papillon de lumière venait d’apparaitre.

« Oooh ! » s’exclama-t-elle, des étoiles dans les yeux. Ses oreilles animales se dressèrent sur sa tête. Elle essaya d’attraper le papillon, mais il était immatériel.

« Reviens ! s’exclama-t-elle en partant à sa poursuite.

– Ne t’éloigne pas trop du feu, le jour va bientôt tomber ! » dit Walcaud en posant ses mains sur ses hanches.

Il était un peu rassuré. Depuis qu’il avait sauvé Louwet des gobelins, elle était restée prostrée et déprimée avec son regard vide. Elle avait à peine réagi quand il avait été question de lui faire rencontrer la duchesse ; mais à la voir ainsi, à courir après un papillon d’éther, elle avait enfin l’air d’une fillette de son âge.

« Voilà le repas ! » s’exclama Silyen, de retour.

Elle déposa près du feu un sac rempli de poissons encore vivants.

« Oh, des carpes ? Je vais les faire revenir avec du sel, et… »

Sans attendre, Silyen arracha la tête d’un poisson avec ses dents et la recracha.

« Ne mangez pas la tête, les yeux sont amers ! » indiqua-t-elle.

Walcaud grimaça en la voyant ainsi se bâfrer de chair crue. Il comprenait pourquoi les sirènes étaient considérées comme des monstres. Il arrêta la main de Louwet qui s’approchait du sac.

« Attends, attends. Je vais les préparer. »

Armé de sa dague, il les éventra, les lava, et les empala sur une brochette après les avoir salées ; une demi-heure plus tard, les carpes étaient grillées et dégageaient un appétissant fumet.

« C’est trop trop bon ! s’exclama Silyen en tenant sa joue.

– N’est-ce pas ? La prochaine fois, tu t’occupes de ramener la bouffe, et je m’occupe de la nourriture.

– ‘a mar’he ! répondit-elle la bouche pleine.

– Et toi Louwet ? » demanda Walcaud en se retournant vers elle.

La fillette pleurait à chaudes larmes, une seule bouchée croquée dans son poisson.

« Qu’est-ce qu’il y a ?! s’inquiéta Walcaud. T’aimes pas ?

– Tu le préfères cru ? » demanda Silyen.

Louwet s’essuya le visage et renifla bruyamment.

« C’est juste que… que c’est… c’est mon premier repas chaud depuis… depuis… ».

Elle ne put terminer sa phrase ; Walcaud lui caressa la tête.

« La duchesse saura probablement s’occuper de toi. »

 Ils atteignirent Savara le matin de leur troisième jour de voyage.

La ville était adossée à une colline sur la rive gauche du Kerdu, un puissant fleuve qui séparait la Marche des Keltes de Thiérache. Ses murailles, fines, étaient faites d’un muret de pierre surmonté de pieux en bois ; elles enserraient un terrain si vaste que la cité n’avait pas de faubourgs, et ce malgré ses trente-cinq mille habitants.

Pour Walcaud, cet oppidum n’avait rien de spécial, et comparé aux forteresses méroviennes aux immenses murs de pierres, il faisait même pâle figure. Mais Silyen et Louwet, qui n’étaient jamais sorties de leurs villages, restèrent quelques instants ébahies devant les fortifications.

La porte principale était flanquée de deux tours de garde en bois ; les soldats qui la gardaient étaient humains comme Walcaud, vulpès comme Louwet, ou bien septines, une race d’elfe dont les oreilles étaient longues et pendantes.

« Si c’est pas Walcaud qui revient, dit un garde vulpès dans la quarantaine, avec une paille dans le bec et une barbe de trois jours.

– J’étais persuadé qu’il allait crever ! déclara une petite humaine dans une amure de cuir.

– Tu me dois une silique d’argent, ajouta un jeune elfe avec un sourire.

– Eh ! M’dites pas que vous avez parié sur la mort de c’pauvre Walcaud ? demanda le Vulpès qui semblait être le chef.

– Mais capitaine Ervenn, vous savez comment il est ! se défendit l’humaine.

– Quelqu’un l’accompagne, non ? » coupa l’elfe.

Ervenn ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.

« Mais… Qu’est-ce que tu fous, Walcaud ?

– C’est compliqué ! répondit le mercenaire.

– Compliqué ? Pourquoi tu reviens avec une sirène et une gamine ?

– Je vous l’ai dit… c’est compliqué ! Mais la situation est grave ! Des gobelins risquent de nous attaquer en masse.

– Si c’est vrai, continua l’humaine, dépêche-toi d’aller voir la duchesse. Mais avant ça, tu devrais leur trouver une tenue un peu plus présentable… »

Elle désigna Louwet du menton, toujours avec ses haillons et ses sandales éventrées.

« Sinon, tu risques de te faire jeter à l’entrée du château. »

Walcaud se gratta la tête.

« C’est pas faux, murmura-t-il, il vous faut des vêtements à toutes les deux.

– Moi aussi ? demanda Silyen. La duchesse ne sera pas dérangée par ma tenue.

– Mais moi, si. Me mettre tout ça sous le nez alors que j’ai laissé filer ma chance, c’est de la torture mentale. »

Il leur tourna le dos et bifurqua dans une rue marchande.

« J’ai jamais dit que t’avais laissé filer ta chance… » dit Silyen à voix basse alors que Walcaud ne pouvait plus l’entendre.

« Hulis, c’est moi ! » clama le mercenaire en poussant la porte de la boutique de vêtements.

« Walcaud ? T’as encore déchiré ta cape, je suppose ? À moins que ce soit ton armure ? Je te préviens, l’armée a passé ses commandes, je manque de cuir ! » déclara un homme élancé dans la trentaine, aux courts cheveux châtains et qui portait une veste couleur vert pomme et or plutôt voyante.

« Mais… qui sont ces jeunes personnes ? s’exclama-t-il quand il aperçut Louwet et Silyen.

– Euh, c’est un peu compliqué, mais il leur faudrait des vêtements pour aller voir la duchesse. On a une audience et… »

Hulis se rapprocha rapidement de Walcaud avant de lui chuchoter à l’oreille.

« Dis voir, c’était ta première mission longue dans la forêt, et tu reviens avec une sirène et une fillette vulpès, je peux savoir ce qu’il s’est passé ?

– Le village de Grae a été attaqué par des gobelins. Ils ont des armes en fer et ils dépassent les trois cents guerriers.

– Trois cents guerriers avec des armes en fer ? Mais c’est terrible !! Il faut prévenir la duchesse Roazhon au plus vite !

– C’est ce que j’essaye de te dire depuis le début, mais je ne peux pas emmener ces deux-là dans cet état ! Trouve-moi vite de quoi habiller la vulpès et rhabiller la sirène ! »

Le fripier dévisagea les deux filles. Louwet faisait peine à voir avec ses habits en lambeaux ; et Silyen… n’était pas très couverte.

« Mesdames, si vous voulez bien passer dans l’arrière-boutique… » dit-il avec un grand sourire.

Il revint trois quarts d’heure plus tard. Walcaud avait patienté debout, et il commençait à en avoir marre, aussi fut-il très content de retrouver ses camarades, d’autant plus que Hulis leur avait trouvé des tenues fort sympathiques.

Pour Louwet, une tunique rouge, avec deux lignes de froufrous verticaux sur le buste, ainsi qu’une jupe en lin percée d’un trou pour faire passer sa queue de renard. Elle s’arrêtait aux genoux, et pour protéger ses petites jambes, elle portait de longues chaussettes noires en laine. Enfin, elle avait pour chaussures des bottines avec un talon renforcé, ce qui la rendait un peu plus grande.

De son côté, Silyen s’était trouvé une blouse bleu ciel, serrée à la taille par une ceinture en cuir ; de larges ouvertures laissaient son bas du dos presque nu afin de donner de l’espace à ses tentacules ; elle avait plus de classe et était plus couverte, mais elle avait toujours le même décolleté qu’avant.

« Pour la vulpès, ça n’a pas été trop dur, après tout la plupart de mes clients ici ont besoin de vêtements adaptés aux queues de thérianthropes… mais pour la sirène, c’est tout ce que j’ai pu trouver. »

« Comment tu me trouves ? demanda Silyen en bombant le torse et en rentrant les bras.

– Très bien ! Très très bien ! » répondit Walcaud qui détournait le regard pour éviter de loucher.

« Et toi, Louwet ? Ça te va ? » demanda le mercenaire.

La petite fille-renard regarda ses nouveaux atours ; d’aussi loin qu’elle pouvait se souvenir, elle n’avait jamais porté des vêtements aussi doux.

« Oui. », dit-elle tout doucement en cachant sa bouche avec sa manche.

« Oh, elle est adorable ! » dit Hulis en joignant les mains. Il se pencha à nouveau vers Walcaud.

« Tu feras attention à la cour. Avec ces cheveux gris argent…

– Je sais, je sais. »

Ils sortirent de la boutique pour rejoindre le château de la duchesse.

Savara était une ville cosmopolite. Dans la grande avenue, on croisait aussi bien des paysans vulpès que des soldats humains. Il y avait aussi, entre autres, des Séptines, qui occupaient un quartier au nord, ainsi que des mandragots, les hommes-chats, venus en masse à la suite des Méroviens.

Tout ce monde étant très nouveau pour Louwet, elle restait dans les jambes de Silyen. Cette dernière impressionnait les passants avec ses tentacules et sa peau écailleuse ; ces regards mi-inquiets, mi-curieux ne la mettaient pas à l’aise, aussi elle collait Walcaud autant qu’elle le pouvait. Le petit groupe déambula ainsi jusqu’au château.

C’était l’une des rares constructions en pierre de la cité que les Méroviens n’avaient pas construite. Quatre tours carrées et épaisses aux toits d’ardoises formaient un quadrilatère dont les murailles dépassaient largement celles de la ville proprement dite.

Walcaud se présenta aux gardes et ils furent autorisés à entrer. La cour intérieure était plutôt grande ; on pouvait y voir des soldats humains en train de s’entrainer dans des brigandines aux plaques de fer rutilantes.

« Ce sont des soldats d’élite méroviens de la garde royale, nota Walcaud.

– Pourquoi ils sont ici ? demanda Silyen.

– Le fiancé de la duchesse est un prince royal. Ils sont venus avec lui. »

Il se redressa et prit son petit air fier.

« Moi, j’ai été formé dans cette unité ! dit-il avec un sourire.

– Pourquoi tu n’y es plus ? demanda Louwet.

– Je… je n’ai pas pu rester pour certaines raisons. », répondit Walcaud en sifflotant.

Un groupe de Vulpès passa en sens inverse. Au vu de leurs tuniques, ce devaient être des notables de campagnes venus avec leurs enfants. Un grand gamin de douze-treize ans, en remarquant Louwet, ne put s’empêcher de pouffer.

« Pouah ! Une pestiférée aux cheveux d’argent ! »

Il prit de l’élan et lui jeta une pierre alors que les autres enfants — et même quelques adultes — ricanaient derrière.

Louwet baissa la tête. C’était encore, encore à cause de ces cheveux d’argent…

Le caillou ne l’atteint pas. Walcaud l’avait arrêté juste avant.

Sans dire un mot, le mercenaire s’avança vers le gamin et le saisit par le col.

« Écoute petit, dit-il alors qu’une veine sur son front commençait à se contorsionner, j’en ai chié un max pour la ramener ici. Maintenant qu’elle est sauvée, propre, et prête à être présentée à la duchesse, je vais pas laisser un petit merdeux à deux ronds ruiner ma mission ! »

Il avait hurlé sur la fin de sa phrase et il était devenu rouge. Le gamin acquiesça avant de retourner vers ses parents en pleurant.

Les notables n’essayèrent pas d’argumenter avec Walcaud ; ils partirent sans demander leur reste.

Louwet, restée en arrière, regardait son protecteur avec admiration.

« Merci… » dit-elle tout bas. C’était la première fois qu’on la défendait.

« Tu as dit quelque chose ? demanda-t-il, trop loin pour l’entendre.

– Eh, dépêchez-vous, un garde nous dit que ça va être à notre tour ! » s’exclama Silyen en leur attrapant la main avec ses tentacules.

Deux humains massifs, engoncés dans des armures en fer rutilantes, ouvrirent les portes de la salle d’audience. Le groupe s’avança au milieu de la pièce en silence, puis mit un genou à terre.

« Relevez-vous. », leur ordonna-t-on.

La duchesse Éporée de Roazhon les surplombait depuis son trône en bois recouvert d’étoffes blanches et noires. C’était une Vulpès de dix-neuf ans. Dans l’attente, elle croisait les bras ; elle n’avait pas une figure d’un naturel contrarié, mais ses mensurations avaient de quoi impressionner : elle mesurait un mètre quatre-vingt-treize et avait une longue crinière rousse qui lui tombait jusqu’aux hanches ; sa peau très blanche reflétait les rayons du soleil. Elle portait, entre autres, une jacque très serrée qui faisait ressortir sa poitrine, et un pantalon de soldat.

Son jeune prétendant, Childebert de Mérovie, n’avait que seize ans. Il était de figure avenante ; ses cheveux étaient noirs et courts. Plutôt athlétique, il avait la taille fine et était de corpulence moyenne, mais assis à côté de sa fiancée, il faisait petit. Il portait une tunique vert sombre, brodée de la Flamme d’Or, les armoiries méroviennes.

« Walcaud, te voilà en bien étrange compagnie. Je peux savoir ce que tu reviens faire si tôt ? »

La duchesse de Savara se leva de son trône, projetant son immense ombre dans toute la pièce.

« Je t’avais demandé d’éradiquer un nid de gobelin. C’est fait ?

– Non, j’ai eu un contretemps. Un avant-poste des sirènes a été attaqué. Celle qui m’accompagne… Silyen pourra vous le confirmer.

– Ouais, ces petits cons ont osé attaquer le clan Mando ! En plus, ils avaient des armes en fer ! Mais on les a éclatés ! » s’exclama Silyen.

Walcaud essaya de lui faire signe de modérer son langage devant la noblesse, par le biais de petites tapes discrètes. Mais la sirène ne comprenait pas le message et rendait les coups.

La duchesse ne le releva pas.

« Des armes en fer, tu dis ?

– Oui madame, en quantité. Ils ont aussi des chariots, et sont très nombreux. J’en ai vu trois cents visuellement, et leur tanière pourrait en contenir, deux ou trois fois plus, selon notre chance. »

Éporée se tourna face aux longs vitraux qui laissaient passer la lumière matinale, pensive.

« Trois cents gobelins, avec des armes en fer. Il faut prendre des actions immédiates avant que cela ne dégénère. 

– Ils ont aussi attaqué un village, Grae. Je pense qu’il a été entièrement rasé, et leurs habitants ont été emportés par les gobelins. »

La duchesse se retourna à nouveau vers le groupe.

« Merci pour ton rapport, Walcaud. Passe à l’intendance, tu y trouveras ta récompense, mais prépare-toi à partir à nouveau. Quant à toi, sirène, rentre dans ton clan et prévient la matriarche de Mando que nous allons avoir besoin de vous.

– Bien ! Et sinon…

– Et cette petite, qui est-elle ? demanda Childebert en lui faisant un grand sourire.

– C’est Louwet. Une enfant vulpès qui a été capturée par les gobelins et que nous avons sauvée. »

Éporée se rapprocha de Louwet et l’observa longuement.

« Des cheveux d’argent… » marmonna-t-elle.

Childebert, lui aussi debout, continuait à rassurer la fillette par son large sourire.

« La pauvre ! Le temps de lui trouver une nouvelle famille, nous l’accueillerons au château…

– Non, coupa Éporée.

– Pourquoi pas ? s’étonna Childebert.

– Ces cheveux argentés… ils sont mal vus ici.

– Ne me dis pas que ça te gêne ?

– Moi ? Non ! » répondit vivement la duchesse.

« Mais recevoir une fillette aux cheveux argentés risque de trop déplaire à la noblesse des campagnes lointaines. J’accueille déjà l’armée mérovienne et ses chefs et ils sont au bord de la révolte. »

D’un mouvement de tête, elle désigna son fiancé ainsi que Walcaud, tout content qu’on le considère comme un « chef » mérovien.

« Alors, tenta Childebert, nous la placerons dans un orphelinat de la ville. Ce n’est pas le mieux, mais…

– Impossible là aussi, j’en ai peur. Elle serait vendue par les responsables dès que nous aurions le dos tourné. »

La duchesse baissa la tête.

« Je m’excuse de ne même pas pouvoir m’occuper d’une fillette, mais le peuple prête aux cheveux d’argent des pouvoirs magiques. On dit même que certains mages concocteraient des potions avec leur sang.

– Madame, relevez la tête ! Vous n’êtes pas responsable des croyances de ces idiots de paysans. », déclara Walcaud.

Il posa sa main sur l’épaule de Louwet.

« D’ailleurs, je dois vous dire que, quand nous l’avons sauvée… elle était sur le point de se faire sacrifier par le chaman des gobelins.

– Car, en plus, ils ont des chamans ? s’exclama la duchesse. Sa queue de renard s’était redressée d’un coup.

– Oui, au moins un… »

Éporée se rassit en poussant un soupir, et posa son doigt sur sa tempe.

« Sinon, pour Louwet, je peux la prendre avec moi… » tenta Silyen.

Le jeune duc haussa les épaules.

« Tu es une sirène et c’est une vulpès. Je ne pense pas que tu puisses t’en occuper, surtout dans ton clan… »

Silyen baissa les yeux ; elle-même en doutait…

Enfoncée dans son fauteuil, Éporée regardait Louwet. Elle avait de jolis vêtements, c’était Walcaud qui lui avait acheté ? Probablement à la boutique d’Hulis ; c’est là que tous les humains de la ville allaient.

« Walcaud, tu m’as bien dit savoir tout faire, quand je t’ai engagé ?

– Oui, madame !

– Alors tu dois bien savoir t’occuper d’une petite fille ?

– Hein ? Euh… Je… oui, mais…

– Très bien. Alors, tu t’occuperas de cette jeune vulpès. Au moins le temps qu’on lui trouve une nouvelle famille.

– C’est que, je suis mercenaire, je ne pense pas que ce soit très prudent de me confier une enfant, je fais un métier dangereux…

– Au contraire, ajouta soudainement Childebert. Avec ses cheveux d’argent, elle risque d’être la cible de toutes les convoitises. Elle sera bien plus en sécurité avec un mercenaire.

– Mais, monseigneur… je ne dispose que de faibles ressources…

– Nous pourvoirons à tes dépenses ! s’exclama Childebert avec son espièglerie.

– Je n’ai pas tant de temps que ça…

– Alors Silyen restera avec toi. Vous avez l’air de bien vous entendre, coupa Éporée. Je ferais envoyer un messager à Mando à sa place. »

Walcaud ne savait que répondre. Quand il se retourna pour chercher l’avis de la petite vulpès et de la sirène, elles lui firent par de grands sourires.

« Je… je préfère rester avec toi, Walcaud, dit Louwet en serrant ses petites mains contre elle.

– Et puis, ça me donne presque l’impression d’avoir une famille ! » ajouta Silyen.

Walcaud soupira.

« Ces missions deviennent de plus en plus dures ! »

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