Le Cycle des Cieux, Tome 3 : La Route du Pendu by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 4

617 0 0

Michaël ouvrit une troisième porte, et tomba enfin sur le genre d'endroit qu'el cherchait. 

Les murs sombres de la petite pièce étaient couverts de placards aux portes transparentes. A l'intérieur, on pouvait voir des tissus lumineux, pliés parfaitement les uns sur les autres. Michaël vit aussi des boîtes de médicaments colorés et des instruments de chirurgie. De plus gros équipements étaient stockés dans des rangements au plafond. Ils ressemblaient aux kits de soin que les vertus transportaient souvent sur le front, remplis de thaumaturgies pré-tissées.

Observant les alentours, Michaël réprima sa claustrophobie grandissante pour fouiller la pièce en quête d’un quelconque indice sur ce qui allait lui arriver entre les mains de cette domination. El ouvrit les placards. El étudia les tissus lumineux d’abord, brodés de thaumaturgies. Très communs, el permettaient aux élohim qui les consumaient à la lumière de leur halo de se soigner ou de se requinquer sans devoir compter sur la présence d’une vertu. Cependant, ces sorts là étaient bien différents de ce que Michaël connaissait. Els étaient brodés de lettres rouges au sens indéfrichable. Els doivent utiliser des langages différents à Guebourah, supposa Michaël, un peu ébranlé. Dans les placards, el trouva aussi des centaines de poches à perfusion, remplies d’un liquide rouge et visqueux. Mais c’est quoi ce truc ? se demanda Michaël. El renifla son odeur ferreuse et grimaça.

— Que faites vous ?

Michaël sursauta. Une vertu venait d'apparaitre dans la pièce. Prit en flagrant délit de fouinage, Michaël reposa la poche de liquide rouge et se tint droit, fier. El observa la vertu. El était masqué. Une robe en plastique transparent l'enveloppait et dessous, el était couvert du liquide rouge et ferreux de la tête au pied. Une partie de ce fluide étrange coulait sur son corps, entrant et sortant de ses veines sans se répandre partout. 

— Avez-vous consommé de ce liquide ? demanda le nouveau venu.

— Moi non, mais vous si, clairement. 

La vertu leva soudain un pistolet sur Michaël. 

— Non ! Non ! Je n'ai pas touché je vous jure ! s’écria le jeune prince.

L'inconnu pressa la détente. Michaël tressaillit.

Biiiip !

— C'est bon, vous n'avez pas consommé, dit la vertu en observant le résultat négatif sur son petit appareil de test.

Michaël, la mine choquée, vit la vertu ranger son capteur et lui tendre la main. Michaël l'observa, ses yeux froids remplis de méfiance. 

— Où allons nous ? demanda le jeune prince.

La vertu resta silencieuse. Michaël, têtu, croisa les bras.

— Si vous ne m’expliquez pas je viens pas.

La vertu soupira.

— Nous allons vous préparer pour l'exfiltration, dit-el.

— Ah ?

— Le temps presse. Vous ne pouvez pas rester ici trop longtemps…

— Pourquoi ? 

— Vous ne pouvez pas, c'est tout, soupira la vertu plastifiée. Vous voulez finir à Guebourah non ? Alors suivez moi. 

— C’est quoi le plan ?

— Vous déguiser. Maintenant suivez moi.

La vertu attrapa le bras de Michaël et l’entraîna dans un miroir. La seconde suivante, le jeune prince ouvrit les yeux dans une petite cabine. 

— Déshabillez vous, ordonna la vertu. 

— Entièrement ?

— Oui.

Michaël soupira et se départit de son uniforme de vertu d'Ennead. El prit soin de conserver le cristal de Nakirée et le nicha dans son halo, où il adhéra à la couronne de métal-lumière argenté dont il était fait. La vertu le vit faire et n'y trouva rien à redire, ce qui soulagea Michaël. D'un geste, la vertu invita Michaël à sortir de la cabine. El la guida dans ce qui semblait être les vestiaires d'une piscine. Sauf qu'à la place de l'eau, des traces de liquide rouge, toujours à l'odeur ferreuse dégoutante, maculaient le sol de carrelage humide.

Michaël arriva finalement dans une grande salle carrée. L'endroit était couvert de miroirs du sol au plafond. Au centre, et répété dans des reflets infinis, se trouvait une large fontaine de ce liquide rouge et ferreux. L’odeur qui en émanait agressa les narines de Michaël. A l’intérieur de ce bassin gluant se tenait Vilanel. Habillé d’une longue robe transparente, el trempait son corps comme pour se préparer à un rituel occulte. El était entouré de quatre vertus, assises autour du bassin, les pieds dedans. La cinquième, qui avait conduit Michaël ici, se joignit à els. Le jeune prince réalisa alors qu’aucun de ces élohim ne se reflétaient dans les miroirs. El seul y apparaissait, debout, hébété, une infinité de fois. El soupira :

— Par EL et les sept…

C’est alors que Vilanel se leva, portant une coupe dorée entre ses mains sanglantes. Les vertus se levèrent aussi. Els traversèrent les miroirs, entrant chacun dans un reflet et un bassin différent. Suivant le modèle de la domination, els remplirent leurs coupes du liquide rouge et les brandirent brusquement au dessus d’els. Dans de violentes éclaboussures, Vilanel et ses vertus recouvrirent de ce liquide rouge l’univers miroitant dans son infinité, y comprit Michaël. Aussi surprit que dégoûté, le prince ainsi trempé protesta :

— Mais c’est quoi ce truc ?!

Les vertus s’échangèrent des regards amusés.

— Le sang d’Adam ! s’exclama Vilanel.

— Quoi ?!

La domination ne répondit pas, ses grands yeux noirs perdus dans les reflets infinis des miroirs. Le sang d’Adam qui les maculaient se coagula en petites gouttes, formant une étrange galaxie rouge. Vilanel scruta longtemps ces étoiles sanglantes comme pour trouver leur secrets, passés, présents et surtout futurs. Son expression changea au fil de ses visions. Sa bouche s’ouvrit sous la surprise, ses sourcils se froncèrent sous la colère, avant de se détendre sous la joie. Michaël resta tétanisé, mais une colère sourde pulsa dans son cœur. En un instant, Vilanel sortit de sa transe et brandit sa coupe devant el.

— Bois ! ordonna-t-el.

Avant que Michaël ne puisse réagir, la domination porta la coupe à ses lèvres et la contraint à avaler tout son contenu. Le “sang d’Adam”, gluant, coula trop doucement dans l’œsophage de la jeune vertu, qui lutta pour calmer les contractions de son estomac. Quand el eut finit de boire, el se pencha en avant, luttant pour ne pas vomir. El se tint la bouche et le ventre, les yeux remplis de larmes. Sa respiration s’écourta. Son regard se perdit dans des visions d’horreur. Un grand serpent noir émergea du bassin de sang et se jeta sur el tous crocs dehors pour dévorer son âme. Michaël se débâtit en hurlant.

— El nous fait une attaque post trauma ! cria une voix désincarnée.

Vilanel grogna. Son regard urgea les vertus d’intervenir. Autour du prince, ces dernières tissèrent des sorts d’apaisement, qui captèrent son halo torturé. Michaël cessa d’avoir des visions, mais el sentit son visage bouillonner, ses membres se remplir d’une douleur tranchante.

— C'est bon, el est prêt, valida Vilanel. 

Les vertus qui l’entouraient sortirent des couteaux de leurs poches. Els tendirent les bras en une seule frappe, tranchèrent leurs propres veines. De leurs blessures, du sang d’Adam coula. Els entaillèrent alors les bras de Michaël. Vilanel leva les bras au dessus de la scène et sous sa volonté, le sang se mut. Il entra dans le corps du prince via ses plaies, remplaçant son sang d’éloha, doré. La douleur bouillante fit hurler Michaël encore une fois. El convulsa plusieurs minutes.

— C’est toujours dur la première fois, gémit la voix désincarnée.

— CHUT !

D’un seul coup, Michaël se calma. Les vertus le lâchèrent et el tomba au sol. El reprit son souffle, se mit à quatre pattes, secoua ses ailes couvertes de sang. Devant el, Vilanel el aussi reprenait son souffle, visiblement affaibli. Lorsqu’el baissa les bras, le sang des vertu cessa de couler vers les veines de Michaël. Son rituel accompli, la domination se laissa tomber en arrière dans le bassin, provoquant une éclaboussure qui nappa encore plus l’endroit du Sang d’Adam.

— Wow…

Dans le miroir qui couvrait le sol, Michaël se découvrit un nouveau visage, long, pâle et émacié. El le toucha pour s’assurer qu’il était bien réel. Puis el se découvrit aussi une nouvelle silhouette, baraquée de muscles massifs et même un nouveau halo. Fini l’argent et la grande lumière mauve. El portait maintenant un halo de cuivre, à la lumière vert pâle et faible. Un nouveau nom en émanait : Mikiel.

— Mikiel ? Ça ressemble trop à…

— Nous n’avons pas le temps de changer ton nom davantage, expliqua Vilanel depuis son bain de sang. Nos noms sont issus de la parole d’EL lui-même. Les modifier demande de très longs rituels.

Michaël lâcha un soupir dépité en continuant d’observer son reflet. El ressemblait maintenant à une vertu de douze ou treizième génération, un simple peupl’aile. El se vit si petit et insignifiant, son grand esprit et sa grande âme étouffés dans un corps privé de cette noble ampleur. Un léger vertige fit vaciller Michaël alors qu’on le relevait. Vilanel disparu dans son bain de sang. Les vertus quand à elle, firent de nouveau traverser les miroirs à Michaël. Els la ramenèrent dans sa chambre médicalisée.

Michaël s’assit dans son lit-œuf. Les vertus repartirent, le laissant seul. Dans le miroir en face d’el, el vit l’inconnu qu’el était devenu. Au moins, el était maintenant tout propre. Le sang rouge qui le maculait quelques secondes plus tôt avait disparu par lui-même, comme asborbé par sa peau. Michaël observa ses bras pâles. Ses veines étaient rougies. Le sang d’Adam y circulait à présent. El s’agita, mal à l’aise. D'où venait donc ce liquide qui semblait porter le nom d'Adam Kadmon lui-même, le corps détruit du Créateur ? La jeune vertu n’avait jamais vu une telle chose, une telle thaumaturgie, glauque et douloureuse. A la Cour de Kokab, auprès de Raphaël et de son entourage, el avait pourtant apprit bien des choses sur les thaumaturgies des neuf chœurs, si nombreuses et différentes. Les rituels qu’el venait de subir étaient totalement aliens, mais au moins, els semblaient avoir fonctionné.

— Combien de temps je vais rester comme ça ? demanda Michaël.

Seul, el était cependant sûr d’être observé.

— Aussi longtemps qu’il faudra, ricana la voix désincarnée, qui n'appartenait pas à Vilanel.

— Encore vous ? lâcha Michaël.

— Plaît-il ?

— Montrez vous donc ! exigea Michaël. C’est pas poli de parler comme ça, sans se montrer ou se présenter.

— Oh… Je suis désolé, minauda la voix. Je ne peux pas passer au travers des miroirs tout seul vois tu. Donc je peux pas t'atteindre autrement qu’à travers le réseau…

Le réseau EL passait même ici. Intéressant. Michaël tenta de s'y connecter, en vain. El chercha discrètement le cristal de Nakirée dans sa main. Même avec son aide, el ne pu accéder au réseau. 

— Qui êtes-vous ? insista Michaël.

— Nana.

— Nana ?

— Oui c’est mon nom.

Michaël soupira. Nana poursuivit :

— Le temps presse comme disait l’autre. Il y a un coffre dans le coin là, entre le placard et le mur. Prends ce qu’il contient et habille-toi. Dans quelques heures, il sera temps de se sauver.

Michaël s’exécuta. El s’encouragea mentalement. Quoi qu’el arrive, el serait fort. Mais qu’allait-il se passer exactement ?

— Vous m’emmenez directement à Guebourah ? demanda Michaël.

— Oui oui…

— Où exactement ? Madim ? Olympus ? Ou bien sur le front ?

— Oh euh… oui à peu près, dit Nana.

— Vous ne répondez pas à ma question là, insista Michaël.

— Nous allons te confier à Sparda, commandant d'une chorale de puissances militantes. Tu t'y sentira “utile” promis.

Michaël soupira.

— J’y serai "Mikiël" c'est ça ?

— Exactement. Ta venue à Guebourah va être une affaire d’État qui remontera jusqu’à la Cour Céleste. Donc on va y aller doucement, tu vois ? Pour l’instant, on va rester incognito. Bon je te laisse. On se revoit dans trois heures environ. En attendant repose toi bien. 

Michaël fit une moue contrite. Les mots de sa mère azoha lui revinrent alors. Tu as encore beaucoup, beaucoup de temps devant toi, pour découvrir le rôle qu’EL te réserve, pour trouver ta voie. La patience. La patience était-elle possible ? Un sentiment d’urgence pulsait dans le cœur de Michaël depuis le début. Le début de sa déchéance, le début de son service, le début de sa vie. El ferma les yeux, soupira doucement et finit de revêtir l’uniforme couleur sable qui la déguiserait en simple vertu militante. El n'oublia pas de garder avec el le petit cristal donné par Nakirée, qu'el n'avait même pas eu le temps d'étudier depuis la fin de sa pénitence. El l'observa, vit ses reflets sombres, mais n'osa le sonder. Alors el attendit, observant son reflet d’inconnu dans le miroir. Au bout de quelques minutes, el s’allongea dans le lit-œuf. Un lourd chagrin vint flotter dans sa gorge mais el refusa de pleurer.

— Je suis Mikiël de Hod. Mickiël de Hod.

L’estomac de la vertu se tordit.

— Non, non, je suis prince… un prince céleste. Michaël Fitzarch. Je peux pas devenir un peupl'aile. A quoi je vais servir si je ne peux pas utiliser toute l'étendue de mes pouvoirs ? 

Sois patient, patient...

Nana ne dit plus rien. El n'était plus là. Michaël réprima encore des larmes. El se tourna vers son propre esprit et pensa à sa mère. El la revit avec Burrhus. Ce démon l'a manipulée, trompée pour pouvoir m'atteindre. Et Raphaël a accepté tout cela. La jeune vertu commença à écrire un message d'adieu à l'azoha qui lui avait donné naissance. Mille questions fusèrent dans son esprit. Pourquoi ? Comment ? Qu'as tu fait et que sais-tu ? Michaël se leva. El fit les cent pas dans la chambre, agita ses ailes. El voulait décoller et rejoindre sa mère pour lui parler en face à face. El s'approcha du miroir, puis de la porte, sans pouvoir les franchir. El voulait demander, insister, exiger, de voir Ophélia.

De longues minutes de tourment passèrent. Michaël se recoucha, tourna et se retourna dans son œuf. El jura face à son incapacité à maîtriser ses émotions et sa précipitation. Ses collègues vertus eux, y parvenaient (quand els le voulaient). Els adoraient se déchainer les uns sur les autres, se confronter à des situations critiques, mais els ne subissaient que ce qu'els voulaient subir. Michaël l'avait vu bien des fois. Autour de la table stratégique, Kokabiel et Brenna analysaient froidement les évènements, recevaient les appels de détresse sans jamais avoir envie d'intervenir à toute vitesse. Raphaël aux commandes de ses troupes perdait tout son charme. El était froid et calculateur, très direct voire cru. Michaël, el, sentait toujours ce feu dans ses mains et sa gorge. Il s'emparait même de ses ailes lorsqu'el se lançait. El devait toujours le repousser, calmer sa fureur pour rester froid. El y parvenait parfois, souvent, suffisamment pour que Kokabiel le traite de cyborg. 

"Je t'appelle cyborg parce que tu es têtu comme une machine, pas pour ton self-control"

Michaël sentit le feu l'embraser tout entier. El ferma les yeux et comprit quelle était la seule chose à dire à Ophélia. El écrit dans son esprit un cours message à sa mère. Mais quand el eu fini, un choc frappa le centre de sa poitrine. El hoqueta. Un froid absolu s'enfonça dans ses cœurs. Michaël se redressa, se rallongea, se redressa encore. La douleur passa vite, ne laissant qu'un froid pulser doucement dans son corps. La vertu serra les poings. El s'accrocha à cette froideur et soudain tout cessa. 

C'est alors que Michaël se souvint de la frappe de Burrhus. La lame sombre, les cris suppliants de sa mère. L'océan blanc monta autour d'el, charriant dans ses courants les corps des gardiens de Sicad. Michaël revit Nakirée et Constantiel glisser sous la surface, inertes. El tendit le bras, mais trop tard, Michaël coula et disparu avec eux. 

Please Login in order to comment!